Universal Order Of Armageddon

Derrière ce nom à coucher dehors ne se cache pas une obscure secte vous implorant de grimper sur une montagne avant la grande explosion finale mais un groupe hardcore-punk et noise essentiel qui a tout explosé entre 1993 et 1994. Originaire d'Annapolis, ville de bord de mer coincée entre Washington DC et Baltimore, le groupe qui s'appelait au tout début Revolutionary Guard of Armageddon a mis le feu à la scène hardcore et marqué plus d'un esprit avec seulement deux mini-albums et trois singles. Universal Order Of Armageddon (UOA) ne partait pourtant pas de zéro. Les bases s'appelaient Moss Icon et Born Against, groupe dans lequel sévissait le guitariste Tonie Joy. Avec UOA, il a continué le travail de sape, continuant à contourner les codes du hardcore pour les emmener vers des territoires plus noise et personnels. A ses cotés, Brooks Headly à la batterie, Colin Seven au chant et le cousin de ce dernier, Anthony S. Malat, seize printemps, à la basse.



Born Against, il en est encore question avec le premier split single de UOA qu'il partage avec un Born Against en fin de vie. Voir définitivement mort quand sort ce 45 tours sur Gravity records en 1993. Avec un Tonie Joy présent des deux cotés de la face mais aussi Brooks Headly qui fut batteur de Born Against tout à la fin. L'urgence, l'infinie urgence de deux titres, Painfully Obvious et The Entire Vast Situation Act I, qui font grimper aux murs en 1 minute 40 chacun. C'est à la limite de se casser la gueule, de trébucher après chaque coup de caisse claire, Headly est une bête furieuse derrière sa batterie, ça fonce droit dans le mur mais tout tient miraculeusement en place. Tout le monde est à fond mais entre les lignes de guitare fiévreuses et le débit rageur et assuré de Seven au chant, Universal Order Of Armageddon délivrait deux bombes d'un hardcore chaotique maîtrisé sans coup férir.
Et comme les deux titres de Born Against (I Am A Idiot et Bit Part In A Bad Movie) sont également deux moments très inspirés, ce single te réconcilie avec les têtes de clown. I Am A Idiot est d'ailleurs particulièrement bon, montrant la voie à ce que va devenir UOA sur les disques suivants, à savoir un hardcore plus délié, plus contrasté entre les moments de furie et de l'espace à la tension ne demandant qu'à bondir.




Toujours en 1993, Universal Order Of Armageddon sort un nouveau single sur Vermin Scum records, un label qui n'a pas été fondé par Tonie Joy comme il est souvent dit, il a juste pris la suite du fondateur Kenny Hill, membre de Spastic Rats et The Hated. Quatre titres dont la durée n'excède que deux fois à peine les deux minutes. UOA continue de condenser le tir. Mais UOA n'était pas qu'un groupe qui jouait vite et fort. Sa grande force était de dégager de tout ce bordel rugueux un filin de finesse, une accroche miraculeuse qui venait toujours de la trépidante et inspirée guitare de Tonie Joy. Booster par la rythmique survoltée et un gros son de basse bourdonnant, ça donne des titres qui vous sautent à la gorge. Les premières écoutes ne permettent pas de distinguer grand chose mais l'impact à l'arrivée est inéluctable et le temps finit par faire son œuvre. City, Mud, Close To Far Away, Fence Song, des morceaux efficaces ne s'embarrassant pas de détails. Tout est là, à sa place, rien ne dépasse, rien de superflu, c'était toute la scène emo-hardcore de Washington DC revue et corrigée à la mitraillette.



On n'arrête pas le train en feu. 1993 encore avec Symptom, le troisième single sur Jade Tree records. Il existe trois pochettes différentes. Celle que vous voyez correspond au second pressage. Avec le titre principal Symptom, le hardcore de UOA devient de plus en plus noise, tordu mais également limpide et grandiose, une équation unique faite de chaos et de beauté. Le rythme est pour la première fois plus posé, le riff de guitare est aliénant, UOA commence à savoir jouer autrement qu'en apnée sans rien perdre de son intensité. Sur la face B, Visible Distance perd également de sa frénésie rythmique mais gagne en inventivité tout en restant mortellement percutant, la composition – aussi courte fut-elle – se fait plus contrastée, plus agile, renvoyant au Super Genius de Circus Lupus publié l'année d'avant sur Dischord. Pour finir, Flux est basiquement jouissif avec un rythme pour le coup très punk au départ avant que UOA ne vienne casser les pattes du pogo grâce à un break qui fait toute la différence avec son riff lumineux pour mieux tout saccager à nouveau. Et tout ça en une grosse minute. Trois singles en une seule année. Universal Order Of Armageddon a déjà marqué son territoire au fer rouge.






UOA enchaîne en 1994 avec le format album sur Kill Rock Stars. Mais The Switch Is Down tourne en 45 tours et seulement six titres au générique dont Visible Distance présent sur le précédent single. Mais quels titres ! Le meilleur de UOA y figure. Universal Order Of Armageddon s'enfonce de plus en plus dans des territoires d'un hardcore noise âpre, poignant avec des compositions à forte personnalité comme l'incontournable Stepping Softly Into. Deux notes de guitare qui te hantent, un jeu de question-réponse avec la section rythmique et puis tout éclate, s'envole dans les limbes qui font les grands morceaux, avant de revenir jouer avec nos nerfs et toujours ces notes aliénantes. C'est la nouvelle donne d'un groupe qui ne fonce plus tête baissée dans le tas, même s'il le fait encore superbement comme sur le très intense et furieux Benedict. Mais avec toujours ce riff se détachant, ce ralentissement qui permet de reprendre son souffle. Clear Set, avant de placer une foudroyante accélération, aura ainsi imiter le rythme pétaradant d'une marche militaire pendant plus d'une minute. Le deuxième morceau Switch Is Down est également plus tortueux dans sa construction et c'est sûrement dans le dernier titre, No Longer Stranger, que UOA surprend tout son monde. Cinq minutes d'un titre basé sur une ligne de basse obsédante, des parties calmes sur lesquelles on entend presque le souffle des amplis, une longue introduction qui fait durer le suspens jusqu'à l'inévitable explosion qui reviendra sur la fin, le retour au calme et les parties de guitares juteuses, le riff incisif en gros point d'orgue. Un classique de leur répertoire au même titre que ce disque en général.





No Longer Stranger, on le retrouve sur le dernier disque de Universal Order Of Armageddon. Un maxi trois titres publié par Gravity records en 1994 qui tourne toujours en 45 tours. Le morceau a été rebaptisé Longer, Stranger. Il dure cinq minutes de plus. Sam McPheeters, l'ex-chanteur de Born Against, est crédité d'un peu de chant et Neil Burke est aux claviers. L'intro est encore plus longue, donnant une coloration dub à l'univers de UOA, du spoken word fait son apparition et les explosions sont toujours aussi belles. Version longue ou version courte, les deux font la paire (bien que la version longue soit un peu... trop longue). Et sur l'autre face, UOA nous a gâté avec Desperate Motion, autre grand titre de leur répertoire. L'influence Fugazi remonte à la surface mais UOA met tellement de personnalité dans les accroches, tellement de conviction et de cœur dans cette montée qui prend aux tripes avant de déboucher sur un plan complètement bluffant changeant de tonalité qu'on oublie aisément tout ce que la scène hardcore a pu engendrer de rejetons de Fugazi car à ce moment précis, Desperate Motion est le plus grand morceau du monde. Et quant à la fin du titre et ce refrain rageur, ça donne envie de tout péter chez soi. Énorme. Four Measure Start finit superbement le boulot en gardant cette petite touche Fugazi. Abrupt, sauvage, direct et ce brin de classe toujours.



Tous ces titres ont été compilés en 1996 par Kill Rock Stars. Tous sauf les trois derniers titres du maxi de Gravity. Une compilation qui se trouve assez facilement mais vous pouvez aussi l'écouter dans son intégralité. Quant au maxi sur Gravity, il se trouve sans problème en occasion. Et sans se ruiner !









Après Universal Order Of Armageddon, Tonie Joy continuera avec Anthony Malat dans The Great Unraveling, autre groupe très recommandable et recommandé, puis plus tard avec les moins inspirés Convocation Of. Anthony S. Malat finira par prendre son envol en jouant dans des groupes sans Tonie Joy : Love Life et Bellmer Dolls.
Et pour le batteur Brooks Headly, on le reverra au sein de Wranglers Brutes, Young Pionners, Skull Control ou plus sûrement désormais, derrière ses fourneaux en tant que grand chef pâtissier émérite à New-York !

Et il n'est pas rare de retrouver encore Universal Order Of Armageddon sur scène pour quelques concerts pour lesquels on ne peut pas à proprement parler de reformation mais, dixit le groupe : It's not a reunion ! It's a money losing labor of love. A défaut de les voir en vrai, vous pouvez vivre par procuration ces grands moments d'intensité, soit en version historique, soit vingt ans plus tard.



Enfin, dernière précision, Gravity records a publié en 2011 un double single d'une session live enregistrée en 1993 à la radio WMFU dans le New Jersey. Painfully Obvious tiré du split avec Born Against, trois titres du second single (Mud, City et Close To Far Way), Symptom du 3ème single et No Longer Stranger, soit la version plutôt courte. Un enregistrement n'apportant pas grand chose par rapport aux versions sur vinyles mais le son est très bon, l'énergie intacte tout en rallongeant légèrement chaque morceau et quand on aime, on ne compte pas.




SKX (22/06/2015)

Discographie ::

split 7'' with Born Against (Gravity Records 1993)
City 7''(Vermin Scum Records 1993)
Symptom 7''(Jade Tree Records 1993)
The Switch Is Down LP (Kill Rock Stars 1994)
s/t 12'' (Gravity Records 1994)
compilation CD (Kill Rock Stars 1996)
s/t 2x7''s (Gravity Records 2011)