Stretchheads

Issu de la fourmillante scène écossaise à la fin des années 80, aux cotés des Dog Faced Hermans, Badgewearer et autres Archbishop Kebab, Stretchheads était l'élève le plus indiscipliné, le plus hystérique, le plus débile et le plus bruyant. Influencé comme leurs confrères par Big Flame, Bogshed ou The Membranes, ils ont transcendé le style pop à guitare noisy et rapide pour en donner une version punk-noise anarchique et fun.



Originaire de Erskine (pas loin de Glasgow), Stretchheads, que vous pouvez aussi trouver en deux mots Stretch Heads, s'appelait à leurs débuts en 1987 The Stretch Heads. C'était à l'occasion de Three Steps to Heaven, une cassette demo tirée à 50 exemplaires ! Three Steps to Heaven, tous les rockeurs à banane et au cœur tendre le savent, était un morceau d'Eddie Cochran. Bien des crêtes se sont levées depuis et le rock à papa est devenu un jeune chien fou tirant dans tous les sens. Celui de Stretchheads a de plus attrapé la rage. Devant le peu d'accointance que j'ai pour le format cassette que j'ai trop bien connu et qui refait un retour en force chez le jeune punk toujours en quête perpétuelle de distinction des masses laborieuses, quitte à faire un retour en arrière, on ne va pas s'attarder sur le contenu. De toute façon, les neuf morceaux se retrouveront deux ans plus tard sur le premier album du groupe. Pas la peine donc de se martyriser l'ouie à écouter ces bandes pourries. Préciser seulement que leur style était déjà bien en place et leur folie douce conséquente. Ce sont les photos de Budd Dwyver, politicien américain qui aura connu la célébrité post-mortem après s'être fait sauter la cervelle en 1987 devant les caméras de télé, qui orne la jaquette avec un joli papier fin à l'esthétique asiatique dedans.





En 1988, The Stretch Heads opte toujours pour l'emballage chic et pas cher. Papier d'alimentation dans lequel on met ces donuts ou on planque sa fiole de whisky, chacun ces goûts sauf que Stretchheads y met son premier single 5 titres Bros are pish (Moksha records). Un single une seule face puisque de l'autre coté, le groupe a gribouillé des traits servant de dessins. Si on veux se niquer les yeux suivant un plan d'inclinaison de 28 degrés face à la lumière du jour, vous pouvez lire les noms des morceaux, dont une subtile reprise de I Should be so lucky de Kylie Minogue, les inscriptions Play fucking loud at 33 rpm, is that ok ? Can we go now ? Oui, on peut y aller coco et ça va aller très vite. Cinq titres expédiés en autant de minutes. Cinq titres, excepté Worry, que l'on va retrouver sur l'album à venir, ils l'écrivent d'ailleurs sur la pochette papier : a wedge aff the Lp 5 Fingers 4 thingers 'jan 89 (c'est de l'écossais, cherchez pas). Alors, comme pour la cassette, on ne va pas s'attarder. Tout ça, c'est de l'amuse-gueule, en gros, ça ne sert à rien, sauf pour l'objet, parce qu'on est matérialiste à mort et que les mp3s, à la longue, ça fout les boules.



Janvier 1989 donc, The Stretch Heads perdent leur The, les deux mots n'en forment plus qu'un et deviennent Stretchheads. Serre bien. On va y venir à parler de la musique de Stretchheads mais attends encore une minute. La pochette est aussi morbide que celle de Dwyver s'aérant la tête. Cette fois-ci, une femme fait dans l'autocombustion, ce phénomène étrange où une personne prend feu sans raison apparente dans un environnement quasi intact. Un goût du malsain contrastant avec l'humour se dégageant de Five Fingers, Four Thingers, a Thumb, a Facelift and a New Identity (Moksha records toujours). L'Ecossais a l'humour noir. Andy Macdonald, alias Dr. Technology, à la guitare. Steven MacDougall, alias Mofungo Diggs, à la basse. Richie Dempsey à la batterie et Phil Eaglesham, alias P6, pour la strangulation des cordes vocales. 21 titres en autant de minutes, à quelques secondes près, sorte de Melt-Banana avec l'accent écossais ou The Locust sans les synthés, Stretchheads défiaient les lois de l'apesanteur en présentant un tir de barrage entraînant un mouvement du corps totalement démantibulé qu'on aurait bien du mal à qualifier de danse. Un chaos jubilatoire où les instruments s'entrechoquent dans un gros bruit de ferraille et sur lequel surfe le chant dégénéré de P6. Eaglesham, personnage haut en couleurs, faisant parti de ces amuseurs publics éructant dans un non sens continu, un punk qui aime l'absurde, s'inscrivant dans la continuité du légendaire Randy Biscuit Turner, feu le chanteur des Big Boys avec qui il partage aussi son amour pour les hommes. Des douze secondes d'introduction à sec de Fans à l'interlude final consistant en un seul Shut Up crié en boucle pendant vingt secondes, Stretchheads vous aura fait subir l'affront d'un chant de poulet sur Chicken Fish et une multitude de rythmes tribaux, de cordes de basses frappées des deux poings, d'une guitare violée avec une scie rouillée pour des salves aussi menaçantes que burlesques. Wilf Plum, batteur des Dog Faced Hermans, intervient au sax sur Shape & Cleanse et Colin McLean, le bassiste du même groupe, a enregistré cette drôle de bête avec l'aide de John Vick, comme à l'époque de la demo.



Ce premier album foutraque et trépidant n'est pas tomber dans n'importe quelle oreille. Le gros label indépendant Blast First (Sonic Youth, Big Black, Head of David, Ut, Rapeman, etc...) ferre l'intrépide anguille écossaise et sort en 1990, le 45 tours Eyeball Origami Aftermath wit Vegetarian Leg. Dempsey part rejoindre le groupe écossais Dawson et est remplacé par Jason Boyce. Mais Blast First ou non, ce n'est pas le genre d'argument pour calmer les ardeurs de la maison Stretchheads bien que le groupe gagne en clarté mais aussi en puissance. Le rythme de la musique est toujours aussi affolant. L'occasion de se rendre compte que le bassiste est loin de jouer avec ces pieds et surtout que le chant de P6 est vraiment un grand n'importe quoi jouissif à faire pâlir un Al Johnson. Sur ce single, on trouve le meilleur titre de leur répertoire, le dingo Afganistan Bananastan et sa ligne de basse limpide ponctuée par les incantations de P6, ligne de basse qui fait encore office de phare dans la tourmente de Incontinent of Sex. Face B, Omnipresent Octopus (écrit Oomnipresent Octopus sur le verso de la pochette) déboule à fond les ballons, la batterie semble avoir été enregistrée en 78 tours et New thing in Egypt, avec entre parenthèse la mention Boney M, part comme un funk bien débile avant que Stretchheads ne coupe tout et n'y foutte son sale bruit de punk et son chant d'orang-outan. Tout ce joyeux bordel est entrecoupé de samples loufoques et fait de ce single quatre titres un must de leur répertoire. Must be kidding, must be kidding, not too hairy.



Autre amuse-gueule du répertoire des Stretchheads en 1990, un flexi 45 tours, objet encore plus in que la cassette (à quand sa résurrection ?). Deux titres des Stretchheads, Omnipresent Octopus et Jimi's Magic Spanish Castle, deux morceaux live enregistrés des toilettes et joués lors d'un concert benefit à Edinburgh le 1.4.90 contre la Anti-Poll Tax, le grand cheval de bataille des punks britanniques à la fin des années 80, merci Mrs. Thatcher. Au générique également, Complication des demoiselles des Lunachicks et un groupe répondant au doux nom de Easy et dont le titre Castle Train ne donne pas envie d'en savoir plus. Pochette découpée dans les petites annonces immobilières, infos manuscrites sur papier scolaire et maintenues par un scotch qui a jaunit avec l'âge. C'est dur d'être matérialiste.





Toujours en 1990 et toujours sur Blast First, Stretchheads s'attaque au format 12'' avec le maxi 23 Skinner, sous-titré Have a bang of this number, man. Un disque à part dans leur discographie. En pleine période Madchester, Stretchheads verse sa pierre à l'édifice. Huit minutes vingt-cinq de 23 Skinner (Theme from Rhoda) d'un Fœtus sous trip bataillant avec Bez des Happy Mondays avant d'aller coucher les gendarmes et les gendarmettes sur la Costa Brava et se taper une vieille gueule de bois le lendemain. Retourne la pochette et demande à la dame ce que ça fait. Ca peut-être long huit minutes. Face B, Stretchheads remet ces habits de punks bruitistes. La vengeance est terrible. Car si sur une minute trente, le cataclysme musical des quatre écossais est suffisamment court pour être fun, c'est une autre paire de manche quand il frôle les six minutes. Et cette manche leur va comme un gant. Housewife up yer fuckin arse music justifie à lui seul l'achat de ce maxi. Stretchheads ne fait plus rire personne. Retourne la pochette et demande à la dame ce que ça fait.



En 1991, Stretchheads sort son deuxième album Pish In Your Sleazebag (Blast First records). Qu'importe la signification de ce titre étrange (ça doit être encore de l'écossais des campagnes), le groupe continue d'agencer sa folie débonnaire avec un brin de dureté supplémentaire. La basse est définitivement l'élément central et fort de la musique des Stretchheads, mise sur le devant et alignant les lignes accrocheuses. Autour, la guitare maigrelette tournoie comme un moustique ayant sucé un russe alcoolique (pléonasme), le batteur trépigne et P6 plane comme un vol au dessus d'un nid de coucou, utilisant ces cordes vocales comme un instrument à part entière. Bref, tout va bien. Mais ce groupe de petits punks écossais a pris du galon et s'affirme dans des compos de plus en plus maitrisées dans leur folie journalière. Le thème de 23 Skinner où P6 gueule en boucle Africa revient régulièrement hanté les plages de ce disque, le groupe multipliant d'ailleurs les samples, liant toutes ces pépites méchamment burlesques par des dialogues anachroniques, renvoyant à la banque d'images pléthorique du verso de la pochette. Starsky n'y côtoie pas Hutch mais Kojak, une affiche du Baron de Münchausen fricote avec des stars déchues et lointaines de séries Z, que du bon goût au service de l'Art pour un groupe non quantifiable d'incapables, de ladres et de fainéants. Quinze titres pensés comme un tout et non plus seulement une succession de salves gratuites (mais bonnes). On retrouve Incontinent Sex dans une seconde version, Housewife up yer fuckin arse music amputé de trois quart mais qui garde sa force et une ribambelle de pépites qui agacent les dents, vous tordent dans tous les sens comme A Freakout, Acid Sweeney, Space Jam et sa trompette ou Hairy Mousaka.
Sur la version CD, vous retrouvez le single Eyeball Origami Aftermath et le 12'' 23 Skinner avec une version disco (ce qui reste à prouver car ça m'a tout l'aire d'être exactement la même) de Housewife up yer fuckin arse music.



Là-dessus, le groupe se sépare, merci, bonsoir et c'est à titre posthume que sort, toujours en 1991 et sur Blast First, le 10'' Barbed Anal Exciter à la pochette aussi excitante qu'un anus de phacochère. Six titres qui sentent le sapin. On retrouve les fils barbelés que Stretchheads aime tendre mais cette fois-ci, il faut rajouter un surplus de nœud dans la construction et une cadence qui va en se compliquant. Les deux premiers titres Stool Freaks et Satan's Frog sont des excellents morceaux. Par contre, le remix de New thing in Egypt qui figurait sur Eyeball Origami Aftermath et rebaptisé pour l'occasion New new thing in Egypt n'apporte rien, bien que ce morceau soit bon à la base. Sur l'autre face, Stretchheads déroule tranquillement avec Anal beard wank system, tripote les bandes par habitude sur Theme from the movie I had an extra intestine et gère le quotidien avec What's the hole for ? C'est du Stretchheads mais on sent que la passion n'est plus là, un groupe dont toute la philosophie est magnifiquement représentée dans ce grand moment de vidéo.



Après ça, les membres des Stretchheads n'ont plus donné signe de vie (ou alors pas assez fort pour qu'on les entende). P6 s'est engagé dans la lutte contre le sida le jour et est rentré dans les ordres la nuit. Il faut attendre 2002 pour voir réapparaître P6 et le batteur Dempsey dans un projet musical au sein de Desalvo, groupe qui a réalisé en 2008 l'album Mood Poisoner sur le label de Mogwaï, Rock Action records.

SKX (22/11/2009)

Discographie ::

1987 Three Steps to Heaven - K7 demo (Sidatorium, Chicken Fish, Confront, Fans, Headache, The Illness, Skinrip, Jawbox, Cancer)
1988 Bros Are Pish 7'' - Moksha records (I should be so lucky, Confront, Everythnig's going to break in a minute, Headache, Worry)
1989 Five Fingers, Four Thingers, A Thumb, a Facelift and a New Identity LP - Moksha records
1990 Eyeball Origami Aftermath wit Vegetarian Leg 7'' - Blast First records
1990 23 Skinner 12'' - Blast First records
1991 Pish in your Sleazebag LP - Blast First records
1991 Barbed Anal Exciter 10'' - Blast First records

+ nombreux titres sur des compilations. Pour le détail, c'est ici !