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thrilljockey


Sumac and Moor Mother
The Film – 2xLPs
Thrill Jockey records 2025

Changement de collaboration chez Sumac. Après trois disques avec le japonais Keiji Haino, le trio s’associe avec Moor Mother (Camae Ayewa de son vrai nom). Une artiste américaine au rayon d’action très large. Poétesse, militante (notamment au sein du collectif Black Quantum Futurism avec l’avocat Rasheedah Phillips), touchant à l’art visuel et musicienne dans des styles très diversifiés. Free-jazz au sein de son propre groupe Irreversible Entanglements ou mélangeant hip-hop et musique électronique avec 700 Bliss, en solo dans une version unique et expérimentale à base de rap, musiques industrielles et concrètes, gospel, blues, electro, jazz, tout y passe. C’est très réducteur dit comme ça en quelques mots tout en sachant qu’elle multiplie également les projets avec d’autres artistes. Moor Mother est insaisissable. La retrouver avec les métalleux de Sumac n’est donc pas une surprise. Vu que décrire Sumac comme une entité metal est aussi très réducteur et que le trio a su au fil de ses très nombreux enregistrements s’ouvrir à d’autres approches/expériences musicales. Rencontre explosive et riche de promesses.
The Film est sous-titré Original Motion Picture Soundtrack. Mais ce n’est pas la bande-son d’un film. Excepté celui que Sumac et Moor Mother se sont imaginés. Un album comme un tout et non une succession de morceaux, un album dont vous comprendrez le scénario qu’une fois l’histoire terminée, un album dont plusieurs compos se nomment tout simplement Scene. Ça va de 1 à 5. Un long déroulé de presque une heure avec de multiples péripéties et rebondissements, de divagations bruitistes ou oniriques, de passages qui peuvent être conçus comme des interludes et de grandes séances d’action dépassant le quart d’heure pour la pièce finale Scene 5: Breathing Fire. Alors voyez ça comme vous voulez, un film ou pas, ce n’est que du concept mais cet album mérite grandement d’être vu.
Sumac a fait de la place pour le chant de Moor Mother (également crédité aux synthés et autres effets), ce qui ne l’empêche pas parfois de totalement tirer la couverture à lui dans des joutes puissamment lourdes et brutales comme toute la seconde partie des douze minutes de Scene 2: The Run. Deux entités qui s’entrelacent idéalement dans des méandres sombres et haletants. La force brute de Sumac et le charisme du chant de Moor Mother, ses paroles simples et fortes (I want my breath back, Just to believe again, I want my change). Les digressions expérimentales, les plages ambiantes et la puissance épique. Réussir à construire un titre qui tient parfaitement debout (Scene 1) alors que ce ne sont que drones, triturations, effets multiples, confusion et angoisse avec des chants très prenants. L’assourdissant et captivant maelstrom free et bruitiste de Camera et la surprenante et lumineuse mélodie se dégageant de Scene 5: Breathing Fire (ou le début superbe de Scene 3) alors que le chaos gronde tout autour. Un album riche d’humeurs variés, d’émotions mouvementées, orageuses et libératrices, d’une volonté aventureuse et ambitieuse de proposer un souffle innovant, tracer une route qui n’appartient qu’à eux/elle. Pas le genre de film que vous vous mettez tous les jours (et que vous verrez tous les jours). Disloqué, inconfortable, farouche mais définitivement magnétique et beau dans toute sa noirceur et dureté. Sumac and Moor Mother se sont parfaitement trouvés. Fascinant.

SKX (27/07/2025)