xiuxiu
polyvinyl


Xiu Xiu
Ignore Grief – LP
Polyvinyl records 2023

Une citation de Osamu Dazai ouvre le copieux livret et donne le ton de Ignore Grief. Ce sera noir de chez noir. Ce qui ne surprendra personne s’étant déjà frotté au monde de Xiu Xiu qui, comme l’écrivain japonais, n’a jamais caché les doutes qui le hantent sur sa musique, sa propre personnalité et sur le genre humain en général. J'avais abandonné toute espérance dans les choses de ce monde, toute joie, toute sympathie, pour l'éternité.
Ignore Grief, le quatorzième (ou un truc dans le genre) album de Xiu Xiu est comme la suite du cortège violent et funèbre entamé avec Angel Guts: Red Classroom puis Girl With Basket Of Fruit. Entre temps, Xiu Xiu avait publié d’autres albums (Forget ou le dernier en date Oh No) mais rien ne vaut Xiu Xiu quand il est au fond du trou. Et qu’il vous y plonge avec lui dans sa ténébreuse sarabande. On s’y délecte même car Jamie Stewart et Angela Seo (accompagnés par David Kendrick, batterie) excellent dans les climats malaisants, mortifères, mystérieux, tendus d’où se dégagent toujours une certaine forme de beauté et un désespoir poignant. Se confronter à la cruauté du monde, l’endurer, l’absorber et tenter d’y répondre, la réinterpréter pour la rendre plus supportable, ne pas devenir dingue.
Sur Ignore Grief, Xiu Xiu a choisi l’option experimental industrial pour la moitié du disque et experimental modern classical pour l’autre moitié. Une auto-description qui me va bien. Surtout avec le mot experimental en dénominateur commun car c’est tout à la sauce Xiu Xiu. Multiples percussions aux sonorités riches et inventives, harmonium et autres claviers électroniques ou non, gongs, flûtes, objets trouvés et tout un panel d’invités pour du violon, du saxo, du field recordings e t même un ensemble orchestral de onze musiciens. Sans que cela sonne chargé outre mesure. Ignore Grief glace le sang, écorche les chairs, repeint le cœur d’un noir profond. Tout sent le malaise. En mode industrielle comme sur un Esquerita, Little Richard ou Maybae Baeby que n’aurait pas renié Einsturzende Neubauten. En mode plus épuré et solennel sur Tarsier Tarsier Tarsier Tarsier (avec Charlie Looker (Extra Life) pour les choeurs) ou Pahrump. En mode port de l’angoisse et film d’épouvante sur 666 Photos Of Nothing ou le long final de huit minutes For M. En mode Pain Teens reparti en enfer sur Brothel Creeper. Mais avec chaque fois, un truc qui triture de l’intérieur, qui interpelle, ne laisse pas indifférent, quand bien même c’est le stress qui est généré, l’envie de hurler avec eux, se débattre dans cet océan de merde, être broyer sous cet avalanche de sons et aimer ça, s’accrocher à la moindre nervure et bout de mélodies qui traînassent, se sentir inconfortable et ne pas vouloir bouger car quelque chose au fond attire irrésistiblement votre regard.
Si Xiu Xiu soigne sa misanthropie et sa folie par la musique, il n’est pas dit que vous, vous ne deveniez pas dingues à l’écoute de Ignore Grief. Exigeant, captivant, désorientant même pour les plus endurcis aux frasques de Xiu Xiu mais c’est le prix de la douleur et j’adore ça.

SKX (20/09/2023)