greatfalls
neurot


Great Falls
Objects Without Pain – 2xLPs
Neurot records 2023

On pensait avoir tout vu et tout entendu de la part de Great Falls avec leur dernier album A Sense Of Rest, qu’il était impossible de faire plus fort, plus beau, plus mieux. Et pourtant, cinq années plus tard, le trio de Seattle se surpasse encore. Impossible de savoir où Great Falls va chercher toute cette douleur pour l’extérioriser de la sorte (bien qu’il suffit de se pencher pour ramasser toute la misère du monde) mais elle est là, enfouie en eux et Objects Without Pain est un magnifique et cathartique exutoire. Autant pour eux que pour la personne qui l’écoute. Ce n’est pas sans causer quelques ravages supplémentaires dans nos cervelles angoissées mais rarement il a été aussi bon de se faire malmener de la sorte.
De nouveau magnifiquement enregistré et mixé par Scott Evans mais avec un nouveau batteur (Nickolis Parks), Objects Without Pain est un voyage au centre du chaos et la démonstration qu’il est possible de le dompter. Et d’en sortir vivant. C’est très sombre, lourd. Great Falls met une pression d’enfer. C’est torturé à souhait. Le chant du guitariste Demian Johnston, qui teste constamment les limites de son larynx, est sans filtre, authentique, ce qui rend sa douleur encore plus sincère au point d’en devenir pratiquement lyrique dans toute sa brutalité. Les riffs tombent comme un déluge tropical. La basse de Shane Mehling est une grande faucheuse trapue utilisée comme une massue sur laquelle il est capable de tisser des lignes arachnéennes pour un impact physique que vous ressentez dans le creux du bide. La double pédale de la batterie est une pure déflagration. Great Falls possède une force de frappe qui vous étourdit et des titres comme sur Trap Feeding et Ceilings Inch Closer (malgré un break plus calme en plein milieu) vous laissent sur le carreau sans possibilité de reprendre conscience.
Et pourtant, Objects Without Pain affiche des compositions labyrinthiques dont on voit l’issue. Le trio a aménagé des espaces pour respirer plus nombreux que par le passé. Sur Dragged Home Alive, les douze minutes de l’incroyable Thrown Against The Waves et autres passages en mode plus clair régulièrement disséminés, Great Falls rend son noise-rock-hardcore punitif plus déchirant et les déflagrations plus tranchantes et meurtrières.
Mais ce n’est pas une clarté qui rend leur musique plus simple et facile. C’est toujours extrêmement noir là-dedans, le souffle est court. C’est une mélancolie et des accalmies oppressantes et douloureuses. Le trio a travaillé en profondeur ses ambiances orageuses qui bénéficient de l’ajout de sonorités grouillantes ou samples enrichissant le propos de Great Falls (un certain John Schork est crédité de additional instrumentation), lui donnant encore plus d’ampleur comme sur Old Words Worn Thin ou Spill Into The Aisle. Il a diversifié ses approches, expérimenté, élaboré des structures et étoffé des textures plus recherchées pour avoir encore plus de poids, de profondeur et que ça vous rende dingue et terriblement accro. Objects Without Pain n’est pas qu’un immense champ de bataille. Si on ne peut nier son caractère écrasant et tourmenté qui est l’essence même de Great Falls, ce cinquième album a fait franchir un nouveau palier à un groupe qui naviguait déjà très haut. Great Falls plane, en totale maîtrise de son art.

SKX (28/10/2023)