luggage
corpseflower


Luggage
Shift – LP
Corpse Flower records 2019

Après le magistral Three, Luggage était grandement attendu au tournant avec son troisième album Shift. De ce genre d’attente fébrile quand on en attend trop. Heureusement, le trio de Chicago est au rendez-vous. Il a fallu juste un peu plus de temps pour se mettre au niveau.
Tout en conservant ses acquis précédents, Luggage a pris une route plus minimaliste, encore plus sobre et dans une tension retenue jusqu’à la limite, une tension non résolue. Shift, c’est Tar joué par Slint ou l’inverse, qu’importe. Un son sec, qui claque, propre à la ville de Chicago et tous ces fabuleux groupes noise-rock qu’elle a enfantés, enregistré à l’Electrical Audio, non pas par qui vous savez mais par Matthew Barnhart. C’est surtout l’essence même de Slint dans la manière de délivrer ce noise-rock tendu jusqu’à que ce soit douloureux, répétitif jusqu’au drame, désossé et taciturne.
Un album encore plus froid, détaché mais d’une beauté implacable et qui fait un peu peur, qui donne envie de hurler sans qu’aucun son ne sorte de la bouche. Les éruptions se font plus rares, sont sous contrôle avec une lourdeur accrue. Le chant est parlé, laconique, comme si rien ne pouvait le toucher ou qu’il se parlait à lui-même. D’ailleurs, ce chant est de plus en plus absent, se contentant de répéter une poignée de mots, des mots d’une syllabe, comme les huit titres, à part Every Day. Rain, Watching, July, Rest. Shift est à l’économie mais il dit l’essentiel. Dans des compos qui s’étirent dans une progression terriblement précise, quasi maniaque, avec des riffs sur le rasoir mais une guitare qui sait aussi délivrer de magnifiques harmonies, distiller au compte-goutte avec l’aide de la basse des mélodies rêches, aliénantes, des constructions par palier pour se jeter dans le vide une fois en haut de l’échelle de l’intensité, une batterie qui soupèse chaque frappe avant de l’asséner sèchement pour une hypnose s’installant lentement mais durablement, une chaleur qui prend forme dans l’abrasion des contours et des dissonances grésillantes s’échappant d’un rock qui n’a pas oublier le terme noise.
Un disque qui vient d’un autre siècle mais c’est tellement bon qu’il est impossible de s’en libérer.

SKX (25/03/2020)