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Fleuves Noirs
Respecte-Moi – LP
Etienne-Disqs/Tandori/Jarane/Poutrage/Te Koop/Smart & Confused records 2018

Un avion qui s'écrase contre une montagne, le regard de dément comme un copilote allemand qui aurait envie d'effectuer son dernier vol avec sa cargaison humaine et ce titre étrange qui claque autant comme un ordre qu'une supplication. Respecte-Moi flottant en étendard par-dessus la grisaille opaque, son artwork troublant en hommage aux pochettes des bouquins de la maison d'édition Fleuve Noir d'où le groupe lillois tire son patronyme, il fallait s'attendre à quelque chose de spécial, décalé, mystérieux, funeste. Fleuves Noirs est tout ça mais ne se résume pas à ça. L'Oeil était dans la tombe. Angoisse.
La section rythmique des ex-Berline0.33, la voix de Cheyenne 40 et la guitare de Niels Mori loin de l'élégance mélancolique de ses projets personnels, Fleuves Noirs charrie de multiples courants, brasse en eaux troubles et trace un sillage singulier et tumultueux. Vaudou veau d'or. Les incantations de Fleuves Noirs réveillent les morts. Disque tribal en pays sur-industrialisé dont il ne reste plus que les ruines, Fleuves Noirs pratique la déviance, contourne, trafique (le chant surtout), bricole des ambiances oppressantes, tordues, ne pas savoir sur quel pied danser mais être hypnotisé à la fin. Cinq mantras répétitifs ou vrillant sournoisement, se désagrègent dans la rouille ou explosent méchamment.
Le basse-batterie en avant sert les vis, solide, sobre, amarré au continent, froidement entraînant ou puissamment tribal. Mène la danse. Autour, la guitare en retrait griffe, lézarde, dérape pendant que le chanteur joue avec ses nombreux effets et donne l'impression d'être plusieurs dans sa tête. Ne chercher pas plus loin d'où vient ce sentiment de folie, l'impression que Fleuves Noirs peut péter un câble à n'importe quel moment, amenant ainsi l'équipage dans des décors désaxés.
Mais c'est surtout sur la face B que Fleuves Noirs opère la bascule. Les deux morceaux - fleuves, forcément - de dix et douze minutes, Bambu/Con Moto et encore plus Loufresnaere sonnent toute la noblesse de Respecte-Moi. Le Sang des étoiles. Fleuves Noirs touche au but pour briller là-haut, arrive à façonner des climats totalement prenants, ensorcelants en ravivant le fantôme de P.I.L pour mieux le transpercer. Le jeu se durcit, le niveau monte, le feu se propage. Le début de Loufresnaere hyper répétitif, bruyant, frénétique est terriblement aliénant. La cassure soudaine avec cette ligne de basse comme au ralenti et ses très beaux accords de guitare n'en est que plus saisissante. Le morceau dérive alors comme dans un cauchemar caoutchouteux, travaille l'imaginaire, fait perdre pied. Un vrai délice. C'est à ce moment là que Fleuves Noirs choisit de cogner à nouveau. Impossible de s'échapper. Le piège est irrémédiable. L'enfermement comme dernière maison. Le mur est là en face et on ne fera rien pour l'éviter. Noise, post-punk, psychédéliquement malsain, shamanique mais surtout original, fiévreux et magique.

SKX (05/01/2019)