drose
cmptrstdnts


Drose
Boy Man Machine + - 2xLPs
Computer Students records 2019

La musique, ce n’est pas que de la musique. C’est aussi un support, des personnes qui se creusent les méninges pour réaliser un bel objet, des as du crayon pour mettre en valeur cette satanée musique, lui donner un écrin qui fera encore plus revenir vers le disque, bref un tout cohérent qui fait que la terre est encore un peu plus ronde, que le sapin est un conifère et toi un être humain sensible. Et le fait que c’est un vieux grincheux qui a connu le téléphone avec un fil et le Minitel, fleuron de la technologie française qui vous le dit ne change rien à l’affaire. Par conséquent et selon une logique implacable, le label Computer Students (ou Cmptr Stdnts si tu bouffes les voyelles mais tu vas être pris pour un débile si tu le prononces ainsi) nous a méchamment gâté.

Comme il leur restait depuis Big’n des sacs aluminium avec ouverture zip pour parfaitement conserver le disque au frais, cet habile artifice est à nouveau utilisé et c’est toujours aussi bluffant. A l’intérieur, une pochette gatefold, deux vinyles tournant en 33 tours, quatre faces et un livret (le label parle de codex) de 12 pages magnifiquement mis en beauté. L’heureux bénéficiaire se nomme Drose, trio de Columbus, Ohio, USA. Et c’est dans le cadre de la série Anatomical Reissues, c’est à dire des disques déjà publiés que Computer Students va disséquer, expliquer, agrémenter, lui donner une nouvelle dimension, supérieure évidemment, d’où le plus à la fin de Boy Man Machine.
Un album sorti à l’origine en 2016 qui se retrouve dans son intégralité sur le premier vinyle avec une remastérisation de Carl Saff en 2019 pour un chouïa de densité supplémentaire. Mais rien n’est sûr dans ce monde absurde. A Voice, quatre titres du premier 45 tours de Drose figure sur la face D. Quant à la face C, c’est la gagnante, surtout si vous possédez déjà les deux disques précédents, avec trois inédits enregistrés en décembre 2018.
Mais ce n’est pas que cette face la valeur ajoutée. C’est aussi le livret avec les explications sur les secrets de fabrication de l’enregistrement de Boy Man Machine. Ce qui donne un nouveau regard sur cet album qui avait séduit mais aussi laissé perplexe.

Boy Man Machine, la dualité homme/machine. Conçu dans un centre de recherche automobile à Columbus, là où l’ingénieur mécanicien Dustin Rose, tête pensante du trio, a travaillé pendant des années. Un gars qui baigne dans le milieu de la mécanique depuis son enfance et qui a fini par être obsédé par les machines. Et de vouloir leur donner vie car à force de les voir prendre forme et évoluer autour de lui, le gaillard s’est demandé si elles ne possédaient pas un petit coeur qui bat. Paye ton obsession. Avec ses compères Gregory Packet à la seconde guitare et John Mengerink à la batterie, Drose s’est construit un espace au sein même du centre de recherche. Un truc interdit aux claustrophobes que le trio a surnommé The Hole où il fallait utiliser un chariot élévateur pour soulever une plaque d’acier trempé afin de se glisser dans ce trou qui était le coeur d’un châssis de dynamomètre (voir la pochette du single). Tout autour, des machines qui vous observent avec leurs boulons huileux, des outils qui hurlent leur rage, des fours qui suintent, des cognements qui respirent, des pistons qui couinent leur douleur. Et à l’intérieur, une caisse de sonorisation singulière.
Alors ce disque, vous ne l’entendez plus pareil. Vous comprenez cette aura inquiétante, la dimension rythmique de cet album, la duplicité entre l’organique et le fonctionnel, la lutte entre le chaud et le froid, la dichotomie des chants bataillant dans des sentiments contradictoires. Un disque industriel au sens littéral du terme de la part d’un type qui ne sait plus de quel bord il est, s’il est un homme ou une machine et qui a tenté de faire chanter, vivre son environnement quotidien. Un album et un premier 45 tours toujours aussi atypiques mais on en saisit désormais un peu mieux l’essence.

Du coup, les trois inédits, c’est du miel. Trois longs morceaux entre cinq et six minutes et quelques où Drose montre qu’il a apprivoisé la dichotomie qui sommeille en lui, a peaufiné les réglages, passé de l’huile dans les rouages et dopé le moteur. L’homme et la machine ne font plus qu’un. Drose fait chanter ses machines, donne un cadre où la puissance et la brutalité des riffs font vibrer les parois glaciales du caisson. Les pistons s’affolent. Le chant passe de l’aérien angoissant au chuchotement étrange dans un même élan porteur. Des titres comme A Room et encore plus The Tapping développent une force nouvelle propre à faire péter les vumètres, sont diaboliquement tranchants, vous transportent à un niveau que Drose n’avait pas encore atteint. Une musique toujours aussi originale mais qui frappent durablement les esprits. Le chemin est tout tracé. Et il passera d’ailleurs bientôt par la France pour une tournée qu’il ne faudra pas manquer, dont la date à Rennes le samedi 30 novembre 2019.
Quant à la sortie de Boy Man Machine + le 18 octobre 2019, les losers se contenteront de la version digitale alors que les vrais qui eux savent se procureront cet objet sublimant parfaitement une musique unique.

SKX (18/09/2019)