satan
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throatruiner
witchbukkake



Satan
Un Deuil Indien – LP
Deaf Death Husky/Throatruiner/Witch Bukkake records 2017

Je sens que le deuxième album de Satan va faire grincer quelques dents. Tout ça parce que le groupe a semble t-il des choses à dire. Et qu’on les entend plutôt bien, toutes ces choses. C’est suffisamment rare – voire c’est quasiment exceptionnel – pour être souligné mais le mix d’Un Deuil Indien abandonne l’éternelle et vaine course-poursuite des musiques dites extrêmes (ahem) avec l’agressivité gratuite et met la voix et le chant en avant et donc aussi les paroles (paroles en français et dont le groupe a également pris la peine d’inclure sur la pochette intérieure une traduction en anglais). Satan n’est en rien adepte de l’holocauste planétaire à prix discount, de cavalcades de panzers dans les plaines polonaises, de serial killers déguisés en poulpes, d’extra-terrestres cannibales, de walkyries suceuses de sang, de curés nazis et priapiques, de festins de tripailles crues, de macro-chirurgie atomique, d’insectes géants sodomites, de loups-garous revanchards, de zombis homophobes et de toutes ces délicieuses horreurs qui devraient tellement bien coller avec une musique soi-disant violente et provocatrice. Du black metal, que Satan joue toujours avec la même urgence punk et féroce, Un Deuil Indien a essentiellement gardé le côté exacerbé et à fleur de peau. Je devrais même dire écorché vif.

La licence poétique mais néanmoins signifiante des textes – c’est comme ça que parlent les chroniqueurs littéraires – est donc plus qu’importante dans Un Deuil Indien. Et elle est indissociable de la tension et de la désolation musicales qui hantent le disque du début à la fin – c’est comme ça aussi que parlent les chroniqueurs de disques. L’une ne va pas sans les deux autres. Rejeter l’importance centrale et capitale de ces mots là, bien qu’ils soient éminemment personnels et souvent, je crois le deviner, intimes, c’est ne pas vouloir comprendre et même refuser de ressentir un disque qui pourtant, une fois de plus avec Satan, fait appel à notre sensibilité immédiate, notre instinct épidermique et nos tripes – c’est comme ça que parlent les branleurs ventriculaires qui ne se fient qu’aux battements de leurs cœurs pourris et en charpie. Mais Un Deuil Indien n’est pas un recueil de belles lettres et un bidule arty pour autant. Il est vrai que la pochette (signée Riton La Mort) est très réussie, que la présentation est aussi sobre qu’efficace que magnifique et que, oui, avec Un Deuil Indien on a entre les mains un fort bel objet. Mais surtout un bel objet recelant un piège vénéneux d’hurlements éperdus.

Des hurlements, il n’y a que ça dans Un Deuil Indien. Les hurlements des mots – je ne vais pas trop revenir là dessus – mais aussi ceux de la musique, évidemment. Satan a gardé cette faculté d’aligner des riffs d’une efficacité simple et âpre qui donne mal au ventre. De ce point de vue là, le disque est infaillible et d’une franchise redoutable alors qu’il parle beaucoup (oui, finalement je vais revenir là-dessus, haha) de doutes, mais aussi de révoltes et de colères. Pour en revenir à l’aspect strictement musical, ce qui m’étonne finalement avec Un Deuil Indien c’est que la production, le mix et le mastering soient signés Steve Austin. Tout au long de sa carrière le bonhomme a alterné coups de génie purs et simples et foirades complètement désespérantes, que ce soit avec ses propres groupes (Today Is The Day, etc) qu’avec ceux des autres. Qu’il ait réussi à saisir le feu secret et sacré qui coule dans les veines de Satan pourrait presque tenir du miracle. Car en plus – je ne parle ici que des instruments – il a su mettre en valeur le formidable jeu du batteur sans trop minimiser l’importance de la guitare et de la basse. Je ne reparlerai pas de la guitare et de ses riffs carnassiers mais je tiens par contre à signaler que pouvoir entendre les lignes amples et puissantes de la basse est un plaisir rare dans le black metal (même à forte tendance punk crusty-fondant) d’ordinaire plutôt dominé par les aigus et les médiums dégueulasses.

Voilà. J’ai bien conscience que l’ensemble de cette chronique a l’air de sous-entendre qu’Un Deuil Indien tient de la perfection mais ce n’est pas le cas, non. Parce que, finalement, la réussite évidente du disque tient principalement à seulement deux ou trois choses, essentielles et fragiles : cette sensibilité renversée, cette humanité désespérée, cette tempête assumée d’émois. Satan n’est pas un groupe de black metal. Satan n’est pas plus un groupe de punk. Satan dépasse les genres sans jouer avec leurs codes et postures fatiguées et sans aucun second degré : Satan n’est pas nostalgique, Satan n’est pas ironique, Satan n’est pas post moderne, Satan ne pose pas. Satan est obscur mais pas obscurantiste. Satan donne sa vérité, porte sa propre lumière mais ne prétend pas avoir raison. Satan a une vision et sait se donner les moyens de la partager.

Hazam (04/06/2017)