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Hey Colossus
In Black And Gold – LP
Rocket recordings 2015

Est ce que j’aurais raté quelque chose ? Qu’est-il arrivé à Hey Colossus ? In Black And Gold est-il bien un album du même groupe que celui qui a auparavant enregistré Project : Death (2007), Eurogrumble vol 1 (2010) ou Cuckoo Live Life Like Cuckoo (2013) ? En fait, la réponse est déjà contenue dans la question… Dernier né d’une longue lignée, In Black And Gold est le dixième ou onzième enregistrement de Hey Colossus depuis 2004 et si j’ai précisément choisi de mentionner ces trois prédécesseurs du nouveau disque des anglais, c’est tout simplement parce qu’ils ne se ressemblent pas vraiment entre eux. Et, même étalée sur une dizaine d’année, l’évolution musicale de Hey Colossus, lente mais certaine, accélérant sur les années récentes, peut être jugée comme impressionnante. Impressionnante parce qu’elle vient d’aboutir au plus beau disque que le groupe a jamais enregistré, un disque d’une puissance émotionnelle et irrépressible qui en fait non seulement le meilleur disque de Hey Colossus à ce jour mais également l’un de mes disques préférés de toutes ces dernières années. Et ça, ce n’est pas rien.

Passés les excès metal noise gras du bide de ses débuts, Hey Colossus s’est aventuré à partir du split partagé avec Dethscalator (en 2009, chez Black Labs/Riot Season) dans d’autres directions toujours plus marquées par des expérimentations bizarroïdes, psyché et kraut pour résumer vite fait. De plus en plus ancré dans les 70’s dont le groupe est à mes yeux l’un des rares à recycler et réactualiser convenablement voire intelligemment le côté lourdaud, Hey Colossus changeait alors de crémerie (et de dealer), commençant à délaisser les riffs sabbathiens plombés à la noise 90’s, les martèlements rythmiques incessants et les hurlements de loups-garous démoniaques pour s’arracher le cortex et le plonger profondément dans des bains à remous chargé en LSD et autres psychotropes hallucinogènes. De la musique de drogués un peu foutraques dont l’aboutissement – l’album Cuckoo Live Life Like Cuckoo, plus hippie que jamais, et son génial prédécesseur le EP Witchfinder General Hospital – avait divisé les foules entre ceux qui pensaient que dorénavant Hey Colossus ne pourrait plus rien s’interdire en matière de délires hallucinés, que le groupe ne pourrait jamais redescendre sur terre et les autres qui estimaient que Hey Colossus avait ouvert la boite de pandore et au contraire s’enliserait forcément dans des expérimentations baba-kraut sans intérêt et terriblement ennuyeuses, ce qu’au passage il avait déjà commencé à faire…

La réponse qu’apporte In Black And Gold est d’autant plus cinglante qu’elle ne va ni dans le sens des premiers, ni dans le sens des seconds. Le principe fondamental et inhérent de la musique de Hey Colossus – puisqu’il y en a effectivement un – est, au fil des albums, d’avoir toujours su garder le côté massif et submergeant de celle-ci. C’est toujours le cas avec In Black And Gold qui en même temps ouvre de nouvelles perspectives, décharnées, austères, mélancoliques et sombres, tout en gardant l’impact volumétrique initial. Mais là où le groupe se montre absolument génial, c’est en instillant un côté pâteux – je n’ai pas écrit visqueux – et anxiogène assez inédit à sa musique, comme un arrière-goût salement persistant et un peu âpre qui reste collé sur la langue après un bon flash. Les déflagrations pachydermiques ne sont pas absentes de In Black And Gold (Eat It en est l’un des meilleurs exemples) mais elles sont donc traitées différemment, avec une sorte de langueur à rebrousse-poils, malgré tout plutôt 70’s dans le cas de Hey, Dead Eye, Up ! ou à la limite du goth à la fois dépressif et exalté – mais jamais vulgaire – pour le morceau-titre. Lorsqu’il y a une accélération du rythme cardiaque et lorsque les guitares s’épaississent à nouveau à grands coups de fuzz ou de bottleneck c’est pour mieux forcer les barrières stratosphériques d’un état lysergique peu commun. In Black And Gold porte très bien son nom, partagé entre noirceur entêtante et somptuosité majestueuse, magnifique paradoxe.

Et puis il y a les quelques compositions hors catégories qui émaillent tout l’album. Comme Hold On, toute première plage du disque et sorte de balade électronique dont la clarté automnale contraste avec le titre (pourtant annonciateur des perturbations électriques qui suivront juste après). Le chant y est presque mumuré, fragile (mais pas maladif, bien au contraire). Un chant, petite parenthèse, qui sur In Black And Gold marque surtout l’une des évolutions les plus spectaculaires de Hey Colossus : finies les beuglantes systématiques, place à un chant qui se partage entre vindicte à la fois acide et lointaine (la reverb sur Sisters And Brothers) et exhortations nasillardes à la limite du post punk (le presque cold Wired_Brainless). L’une des plus belles réussites de l’album est pourtant un long titre quasiment instrumental où les voix sont samplées et déformées : les dix minutes de Lagos Atom serpentent en de longues répétitions hypnotiques et minimales, la ligne de basse ultra simple et répétitive se rapproche d’un mantra dub, rappelant quelque peu les plages hallucinogènes à rallonge dont il y a vingt ans Terminal Cheesecake avait émaillé son album King Of All Spaceheads. Enfin, il me serait difficile de ne pas évoquer le titre qui est à la fois le plus évidemment triste et le plus chargé en pathos de In Black And Gold. Sinking, Feeling est une vraie complainte gothique, lente et pachydermique et sans aucune arrière pensée ironique ou second degré (à l’exact opposé d’un Type O Negative, pour tout dire). Sur ce dernier titre, Hey Colossus met tout en œuvre pour nous émouvoir mais en même temps pause ses conditions, comme ce ralentissement spectaculaire au deuxième couplet, ce chant un peu acide et exalté qui sait pourtant s’adoucir, ce magnifique final nébuleux et le fait que Sinking, Feeling possède absolument rien d’un hymne complaisant et forestier à la gloire des chauves-souris déçues par la vie. Sinking, Feeling, magnifique chanson aussi malmenée que résiliente, évite l’engrenage pour, à nouveau, définitivement, verser dans le somptueux. Et si en ce moment dans votre vie il y a quelqu’un d’un peu bouleversé qui vous est particulièrement cher et important, offrez-lui In Black And Gold. Vous pourriez alors rendre sa mélancolie un peu plus douce.

Hazam (23/02/2015)