sightings
dais


Sightings
Terribly Well - LP
Dais 2013

Ne rien comprendre à la musique de Sightings est normal. La formation a beau être classique (batteur, bassiste et guitariste qui chante), la musique du trio new-yorkais est incompréhensible, magma organique et mystérieux par lequel il faut tout simplement se laisser happer. Plus facile à écrire qu'à faire. Sightings n'est pas réputé pour la douceur de ses paysages sonores et les huit albums précédents n'ont rien d'une ballade champêtre. Terribly Well ne déroge pas à la règle. Mais dans le domaine des musiques expérimentales/noise/rock/qui dérangent, ce neuvième album n'est pas loin d'être le bonheur absolu.
Le dosage est souvent le noeud du problème. Trop d'expérimentations riment avec masturbation, la recherche de nouvelles sonorités finit par s'écraser contre un mur d'ennui, les structures qui n'en sont plus depuis longtemps ne parlent qu'à ses géniteurs. Avec Terribly Well, vous avez tout ça mais en dose suffisante et surtout, dopé, soutenu, magnifié par une intensité punk et suffisamment de signes auxquels se raccrocher. Que ce soit par ce chant mordant volontairement en retrait soulignant encore plus l'urgence du propos, des lignes de basses hoquetantes d'un funk très tordu ou ces myriades de rythmes crépitants dont on ne sait plus si c'est une machine ou si c'est un humain, Terribly Well nous maintient la tête hors de l'eau. Il suffit d'écouter le redoutable Bundled rappelant à chaque fois un morceau de Slug croisé avec un Distorted Pony, mon tout passé au karcher de banlieue ou Better Fastened et sa basse hypnotisante revenant sans cesse, pour se dire que quand Sightings met son goût du sang et sa volonté de faire mal au service du plus grand nombre, ça donne des morceaux terriblement excitants. A part un brin de longueurs comme sur Yellow qui n'aurait pas mérité ses six minutes de traitement instrumental, cet album arrive à être consistant et passionnant de bout en bout.
Atmosphères d'un futur incertain où tout n'est que limaille et poussière, pluie acide et metal hurlant, Richard Hoffman (basse), Mark Morgan (guitare et chant), Jon Lockie (batterie) aidé par Pat Murano (synthés) tirent de leurs instruments des sons rarement répertoriés dans le manuel. Ils créent un halo étrange, flippant, rempli de stridences, de dérapages, de cliquetis, de sonars inquiétants, de plages troubles et minimalistes, d'une basse sonnant comme un battement de coeur amplifié. De quoi vous faire peur - et vous avez raison. Mais c'est à chaque fois mû et traversé par un élan rock, un maelstrom de rythmes et de sons non-identifiés qui bottent les fesses et ne donnant pas le temps de se perdre dans des abstractions pénibles.
Par le passé, Sightings n'a que rarement réussi à avoir le dosage parfait. Quitte à passer derrière le coté obscur de la force Noise. Mais avec Terribly Well, Sightings, grand chercheur devant l'éternel, touche le gros lot et, à la frontière du rock, de l'industriel et de l'electro sans machine, signe son album le plus convaincant tout en gardant son approche intraitable et unique.

SKX (21/08/2013)