CRAW
Bodies For Strontium 90 - CD
Hydrahead 2002

Le retour de l'enfant prodige. L'impensable miracle auquel on ne croyait plus. Le groupe culte par excellence, qui sème dans l'ombre et ne récolte que des courants d'air. Car si Craw va apparaître à un grand nombre de personnes comme un nouveau groupe débarqué de nul part, les plus vieux d'entre nous vous radoteront sur le ton de l'admiration combien Craw est grand, comment Craw est monstrueux et draine dans son sillage une secte restreinte mais fidèle et dévouée à leur cause. Ainsi, il n'est pas surprenant de les retrouver sur le label en vogue Hydrahead. Ces petits gars de Boston ont sûrement leurs disques en chevet. Nombre de groupes qui font les choux-gras de la scène hardcore (au sens large), Botch en étant un des plus beaux fleurons, ont sûrement écouté un jour ou l'autre ce groupe de Cleveland. Et demandez à Oxes à l'occasion ou feu-Unwound ce qu'ils pensent de cet obscur groupe ! Tout le monde les connaît mais personne n'en parlait, de peur que ce joyau ne vienne leur faire de l'ombre! Même l'apôtre de la noise n'y coupe pas. Steve Albini, producteur de leurs trois premiers albums, a pour eux les yeux de chimère.
Tout a commencé en 1993 avec un 1er album autotitré. Puis l'année suivante avec Lost Nation Road et Map Monitor Surge en 1997. Depuis, silence radio. Il aura fallu un split 45 avec Sicbay fin 2001 sur Obtuse Mule pour que l'espoir renaisse. Entre temps, un groupe en suspend. Un guitariste sur les deux fait ses bagages. Un batteur, la machine infernale Will Sharf, qui patiente au sein de Keelhaul. Anxieuse attente au cours de laquelle on se demande à quelle sauce Craw va nous dévorer. Et puis le fardeau tombe. Nous ne rêvons plus. Craw est bien là, bien conscient, tout autour de nous. Affûtés jusqu'à l'os. Craw n'a jamais été avare de son temps. Les compostions avaient l'habitude de dépasser les cinq minutes. Les albums approchaient de l'heure. Cette fois-ci, Craw se concise, revient au pas de charge. Cinq années de silence et le couteau entre les dents. Ne plus perdre de temps. Craw, une usine complexe où on retrouve pêle-mêle de façon unique : le meilleur de la noise (Jesus Lizard, Dazzling Killmen, Rapeman), l'énergie du hardcore, une architecture ambitieuse, progressiste, de longues montées d'adrénaline, des murmures stressants. Une part d'ombre. Un bloc mystérieux. Cette fois, Craw raccourcit son propos. Mais l'affolante dynamique, dont le batteur est la pièce maîtresse, continue de nous mettre à genoux. Un sens du rythme tout en puissance et en finesse, véritable tour de force. Une guitare disparaît, encore faut-il le savoir ! Une qui plaque le rythme. L'autre mouvante et perfide. Et Joe Mctighe, chanteur qui mime la folie, fait le yoyo entre les aiguës et la gravité d'un propos décousu. Craw a élagué ses passages dangereusement calmes pour ne garder que le nerf. Le son compact (par Bill Korecky) n'a rien perdu de son ampleur. Au contraire. Bref, l'attente n'a pas été vaine. Après deux albums sur Choke Inc., un troisième sur leur propre label (Cambodia), mon tout étant très mal distribué et en faillite, espérons que ces leaders méconnus profitent de leur venue sur Hydrahead pour enfin connaître le succès et la reconnaissance qu'ils méritent. Espérons également que ce groupe prennent enfin la route pour des tournées plus nombreuses qu'à l'accoutumée. Un groupe très occupé professionnellement, dont les apparitions sont rares, y compris aux Etats-Unis. Ne vous demandez plus pourquoi personne ou presque ne les connaît ! Alors, en attendant une hypothétique venue, foncez sur leur discographie et bouffez votre Craw quotidien. Amen.

SKX (19/09/2002)