AG du Pakebot
Binaire/Pord/Pedro De La Hoya/HAG/Seb & The Rhââ Dicks/
Ayatollah/Class Zero
Samedi 7 juin 2014 - Chadron - Le Pakebot

Perdu dans la verdure. Chadron est un tout petit village situé dans la Haute Loire, à une douzaine de kilomètres du Puy-en-Velay. Un village qui compte 270 habitants (environ) et perché à 700 mètres d’altitude (à peu près). Autrement dit le bout du monde pour un pauvre petit citadin lyonnais comme moi, beaucoup plus habitué aux bousculades urbaines, aux galères de transports en commun et aux supermarchés saturés de bouffe en plastique. Vous allez me dire : mais qu’est ce que je viens foutre ici ? Comment ai-je eu le courage de braver les deux heures et demie de route depuis Lyon, le courage de me taper en plein cagnard le traditionnel embouteillage de Givors, de traverser la sournoise agglomération stéphanoise et de risquer la panne mécanique dans la montée du col du Pertuis ?
La réponse est toute simple. À Chadron, il y a le Pakebot, une « salle » de concerts dans laquelle sont passés nombre de groupes importants des scènes underground. L’association qui gère le lieu a fêté son dixième anniversaire en 2013 mais s’interroge également sur son futur : Joëlle, une petite jeunette d’une soixantaine de balais et jusque là propriétaire des murs, a vendu la maison abritant le Pakebot et s’en va sans regrets pour vivre ailleurs de nouvelles aventures, les yeux étoilés par tant de beaux concerts et de folles soirées. Ce samedi 7 juin ce sera donc peut-être la der des der, l’ultime assemblée générale de l’asso du Pakebot, le moment de se dire au revoir ou de se faire des promesses ; le moment aussi d’organiser un bon gros concert pour fêter ça, pour qu’il en reste quelque chose de toujours plus fort, si c’était encore possible.

Donc voilà. Je suis à Chadron, devant cette maison où trainent déjà quelques bénévoles de l’association. Un endroit que je découvre enfin… oui, j’y ai été invité un certain nombre de fois mais je suis du genre casanier, quel con. Je regarde où je vais pouvoir afficher les photos de concerts que j’ai amenées mais il est à peine 15 heures de l’après midi et j’ai vraiment tout mon temps ; le soleil est inhabituellement chaud et je pense à rien, surtout pas à la ville que j’ai laissée derrière moi pour un jour ou deux. Les musiciens et les groupes finissent par arriver eux aussi et les stands – bouquins, produits locaux, nourriture à prix libre, etc – s’organisent sous la tonnelle installée sur la place, juste en face du Pakebot.
Puis les discussions s’engagent, s’animent, la bière artisanale – une cuvée de blonde et une cuvée de rousse, aussi bonne l’une que l’autre – commence à couler à flot et tout prend forme ou se déforme, je ne sais pas. Enfin, la fameuse Assemblée Générale du Pakebot a lieu : n’importe qui de présent à ce moment là peut y participer et prendre la parole mais je préfère regarder de loin. Ça discute ferme et ça rigole, les bénévoles viennent de plein d’endroit différents (Clermont, Lyon, Nîmes, Lozère, du coin bien sûr et sûrement aussi d’ailleurs) et pour avoir assisté à tant de réunions de tant d’associations je me dis qu’à Chadron les choses paraissent bien plus simples, sereines et sincères.

Mais place aux concerts. Il est plus de 20 heures et Class Zero est le seul groupe local du jour. Le trio a surtout la lourde tâche de jouer en premier, devant un public encore un peu clairsemé et pas très concerné. Même avec toute la bienveillance du monde – et de toute façon je n’ai pas encore tout à fait assez bu de cette décidemment excellente bière artisanale –, je n’arriverai pas à dire quoi que ce soit de tendrement positif sur un groupe qui joue du punk rock de base et avec des textes en français que je préfèrerais ne pas comprendre.

Aya†ollah!

Voilà. Class Zero a joué en extérieur sous la tonnelle mais le groupe d’après s’est lui installé dans le Pakebot : Aya†ollah! vient de Lyon et est composé d’anciens membres d’Overmars : Arno à la basse et au chant, Scotch à la guitare et Benj à la batterie. Au départ le groupe comprenait deux (!) guitaristes supplémentaires, en l’occurrence Poutch (ex-Overmars lui aussi et actuellement dans Alabaster) ainsi que Cyprien (de Veuve SS et Moms On Meth/Nerdfight) mais je me demande bien pourquoi. Ils ont sûrement bien fait de quitter le groupe parce que la formule trio convient parfaitement au hardcore métallique d’Aya†ollah! et, même si tout n’était peut-être pas parfait dans ce concert, la puissance de feu était bel et bien présente : collection de riffs pachydermiques, grosse basse qui bourrine (pourtant Arno n’est pas du tout bassiste à la base) et batterie précisément lourdissime – quel bonheur d’ailleurs de revoir ce batteur en action parce que, entre nous mon garçon, c’est pas tout de faire le zouave avec une basse ou derrière un micro avec d’autres groupes. Des débuts bien prometteurs en tous les cas.

Seb & THe Rhââ Dicks

Retour à l’extérieur. Il fait un peu plus frais maintenant en Haute-Loire mais la température interne des participants a largement augmenté depuis l’après midi. Il y a également beaucoup plus de monde et on se précipite pour assister à la prestation irréprochable de Seb & The Rhââ Dicks. Comme le patron de Perte & Fracas déteste cordialement la musique de Mr Radix (note du patron : c'est faux, j'ai assisté de bout en bout à son concert du Rejufest et même qu'il m'a bien fait marrer !!), je ne peux pas m’empêcher d’affirmer ici que nous sommes pourtant en présence du meilleur one man band clownesque emo punk post alterno hardcore FM de l’hémisphère nord. Bon… je commence aussi à connaitre son show un peu par cœur au Radix, genre quelle chanson il va interpréter à tel moment, etc. Par contre les blagues débiles entre les morceaux ne sont jamais les mêmes et Seb Radix fait du charme aux nombreux enfants venus avec leurs parents avant, en guise d’apothéose, de se payer le luxe d’un slam géant sur Johnny Weismuller, son tube inébranlable à la gloire des slips de bain trop serrés et des grosses paires de couilles.


HAG

A nouveau à l’intérieur. Et dans le noir. Ou presque : HAG est un autre one man band, joue uniquement éclairé par une toute petite loupiote et avec une cagoule sur la tête (mais sans celle-ci et à la lumière du jour, les anciens auront reconnu en HAG l’ancien bassiste des Electric Buttocks). D’après quelques vidéos qui trainent sur internet, il semble bien que d’ordinaire HAG joue avec des projections vidéos alors que ce soir il est donc en configuration minimale et rapprochée : beaucoup de machines, beaucoup de samples, une très grosse basse et beaucoup d’énergie, de chaos. Sur le moment je n’ai pas très bien saisi tout le lien entre le volontarisme trépidant et intrusif de HAG et la noirceur de sa musique alors que l’explication est sûrement à chercher dans les textes samplés (des extraits de reportages, de films) qui dans ce contexte bien particulier prennent une toute autre dimension/signification, éminemment politique mais aussi purgative. Je demande donc à revoir pour ne pas rester sur cette impression de manquement – parce que du coup j’ai vraiment le sentiment d’être passé à côté de quelque chose.

Pedro De La Hoya

Pedro De La Hoya sera le dernier bande-tout-seul et le dernier « groupe » de la soirée à jouer dehors, sous la tonnelle, au milieu d’un public de plus en plus alcoolisé et hystérique. Pedro c’est un peu l’alter ego de Seb Radix mais en version ibérique et poilue. Et dois-je vraiment rappeler que fut un temps ces deux là jouaient ensemble au sein de Kabu Ki Buddah ? Bref, Pedro De La Hoya chante, joue sommairement de la guitare, de la batterie cul-de-jatte et du trombone et il pratique la reprise ou le pastiche avec une décontraction je-m’en-foutiste qui tient de l’hommage absolu – il débarque en tenue de boxeur sur la musique de Rocky III et assassine Nirvana avec la même volupté potache. Tout le monde s’en donne à cœur joie, moi je m’écarte un peu parce que c’est l’heure du coup de mou (je me fais vieux) et contemple de loin ce bel athlète des pentes de la Croix-Rousse lyonnaise exécuter lui aussi un slam impeccable tout en continuant à jouer du trombone.
Ah oui, un détail important… au milieu de son concert et à la demande des gens du Pakebot, Pedro De La Hoya s’est arrêté de jouer pour faire l’annonce suivante, je résume : la mairie de Chadron (et nouvelle propriétaire des murs du Pakebot) étant du genre ouverte d’esprit, a bel et bien l’intention de faire perdurer certaines activités dans le village ; l’association du Pakebot a donc finalement décidé de ne pas en rester là et de continuer, tout simplement… un secret de polichinelle que nombre de personnes dans le public connaissaient déjà mais une nouvelle qui fut surtout accueillie par une ovation et des hurlements de joie. Evidemment tout le monde en a profité pour reprendre une pinte de bière.

Pord

Passons aux choses sérieuses. Les deux derniers concerts ont lieu à l’intérieur, dans la chaleur moite et animale du Pakebot. Les trois Pord montent sur la petite scène. Ils sont en terrain conquis car ils doivent connaitre personnellement la moitié des gens présents dans la salle mais ils ne changeront strictement rien à leur façon de faire. C’est-à-dire qu’ils vont se contenter (si je puis dire…) de jouer avec leur rage décuplée, nets et précis, envoutants et généreux et qu’ils vont à nouveau faire exploser les réacteurs à fission humaine. J’écris « à nouveau » parce que jusqu’ici je pensais que le précédent concert de Pord auquel j’avais assisté, celui du RejuFistFuckFest au mois d’avril, était de loin leur meilleur. Et bien non, celui de Chadron était encore plus fort, plus intense et plus imparable. Donc cela signifie surtout que Pord est semble-t-il définitivement passé à un niveau supérieur, que ces trois mecs sont devenus plus monstrueux que jamais, plus soudés et plus unis et que rien ne semble désormais pouvoir leur résister. Le deuxième album du groupe est d’ores et déjà enregistré (du côté de la Suisse et avec l’aide d’un Über Wizard of Zound, si mes informations sont bonnes) et il devrait paraitre à la fin de l’été/début de l’automne sur un label clermontois (si mes infos continuent d’être exactes). Autant vous dire que mon impatience d’écouter ce disque ne fait qu’augmenter de jour en jour, tout comme j’ai déjà envie de revoir Pord en concert. Maintenant.


Binaire

Bonsoir, il est deux heures du matin et on est tous bourrés
. Voilà comment commence le dernier concert, celui de Binaire. Et voilà comment il va continuer puis s’achever. Dans d’incessants débordements et slams agités. Dans un bordel libérateur et bon enfant, un truc que je qualifierais volontiers de festif si ce putain de gros mot de merde de mes couilles de bordel de pute de sa mère n’avait pas été autant galvaudé par les alternos bouffeurs de pissenlits bio-éthiquement psychédéliques et autres sportifs stéroïdés du ska-festif. Même Jens, l’homme de l’ombre/éminence grise/sondier de la mort/gardien impavide du double micro sous les assauts de la foule, ne saura résister à un catapultage en règle… Je n’avais pas revu Binaire en concert depuis au moins trois ans et le duo n’a rien enregistré de consistant depuis l’album Idole (2010) et le split avec Nicolas Dick (2011) mais qu’importe ? Le carburant et la raison de vivre d’un groupe tel que Binaire ne résident que dans la vérité chaleureuse et intense que le groupe déverse à volonté sur nous. Punk as fuck.

Epilogue. La soirée – la nuit – n’était pourtant pas finie. Dans la pièce attenante à la salle du Pakebot, un gugusse dont je n’ai pas retenu le nom a commencé à jouer (voix + guitare + machines) tandis que Joëlle, aux anges, offrait le champagne à qui en voulait. Moi, je n’ai jamais aimé le champagne et je suis allé me coucher, plié en quatre.
Le lendemain, après une bonne nuit, il faisait toujours aussi beau. Et la route du retour, dans le sens de la descente cette fois, a été nettement plus facile – sauf lorsque j’ai vu cette chape d’un gris-jaune recouvrant la vallée : bienvenue dans un monde pollué, cette pollution que l’on ne voit pas lorsqu’on nage dedans, c’est-à-dire tout le temps ou presque. J’espère bien revenir à Chadron, un jour, maintenant que je sais que le Pakebot va malgré tout continuer.

Hazam (18/06/2014)