Motherhead Bug - Sulfur

Bienvenue chez l'orchestre Motherhead Bug. A sa tête, David Ouimet. Retiré de Cop Shoot Cop après le premier album Consumer revolt (ce qui ne l'empêchera pas, lui et son trombone de refaire des apparitions sur les albums suivants de CSC), le grand ténébreux, qu'on imagine plus volontiers en chef d'un gang de black metal que d'un orchestre de foire, même diabolique, crée ce groupe à neuf têtes. Trois batteurs / percussionnistes, des cuivres en pagaille, des chanteurs et chanteuses. Une marche tour à tour funèbre et joyeuse. Toute l'Europe de l'Est, ses polkas et ses valses, sa musique klezmer et des bizarreries folk transposées à New-York par des types qui ont fréquenté Fœtus, Cop Shoot Cop et autres pervers du bruit blanc.

Leurs débuts discographique se fait sous la forme d'un 45 tours sur Lungcast records en 1991. Face A, My Sweet Milstar, est le parfait exemple de la rencontre improbable entre deux mondes pas fait pour se rencontrer. D'un coté, une rythmique tribale et de l'autre l'ambiance d'un cabaret où tout le monde a roulé sous la table depuis un bon moment. L'éclair de génie, c'est cette somptueuse ligne mélodique née d'un cuivre quelconque. Captivant.
Sur l'autre face, Mr. Whistle, une excentricité avec le français Cyril Mazard (membre à plein temps de la tribu) qui pose sa voix sur un pastiche de Dans la vie faut pas s'en faire de Maurice Chevalier avec détournement de paroles (Je n'ai qu'une envie, c'est de péter dans la soie / Faire péter les draps… Amis de la poésie, bonsoir). Bon vieil air de trombone pour commencer. Plongée dans les années trente. Ca tortille du cul sous les néons. Baisé du ciboulot. Magnifique single violet produit par Jim Thirlwell.

En 1992, deuxième single sur PCP Entertainment, le label des noiseux de Slug. C'est pas incompatible. Face A, Age of Dwarfs. Ca sent la corrida et l'espagnolade bien arrosée. Ca vit là-dedans. C'est toujours à la limite du chaos et ça donne envie de boire jusqu'au petit matin. Face B, Bleating heart incident est un petit bijou. Moins théâtrale et orchestré, ce morceau vous fend le cœur. Il est aussi glauque que lumineux. La voix de David Ouimet vous prend aux tripes et Nick Cave aurait sûrement tué pour écrire un tel morceau. Grandiose.

En 1993, Motherhead Bug passe à l'album. Le dénommé Zambodia sort sur un label new-yorkais, Pow Wow records. Zambodia, monde imaginaire où des tonnes de civilisations se télescopent. C'est Budapest au pied de la Liberté. C'est le Bronx dans les Balkans. Manhattan qui respire les cabarets berlinois. Si comme moi, le baltringue et les big-bands vous tentent autant qu'un solo de clavecin, oubliez vos préjugés et foncez. Zambodia, c'est bien plus que ça.
Ca s'ouvre sur My sweet milsar, le morceau du 45 mais accéléré et bien mieux comme ça. Tiny bones, c'est l'effet transe lancée contre un mur de cuivres. Car quand Motherhead Bug envoie, les majorettes retroussent leurs jupettes et les chiens rasent les murs. Et puis l'air de xylophone qui fait toute la différence. Avec Demon Erection, il est certain qu'on finira tous par aller se faire mettre en enfer. Une lente agonie qui commence par d'innocents violons, une p'tite ritournelle, l'air de rien, des anges qui avancent masqués avant de révéler leurs vrais visages de pécheresses. Car ça ne peut être que des femmes hein. Six minutes where the sun was shining. Motherhead Bug possède ce sens du drame qui donne à sa fanfare de l'épaisseur. Un faux air de fête, de sombres clowns. Bleating heart incident fait à nouveau parti du cortège. Et là encore, la version est encore plus belle. Et alors qu'on croyait avoir atteint un sommet, Zambodia, le morceau, arrive. Avec ses cloches dans le lointain et son ambiance de western spaghetti, on s'attend aux sept mercenaires se pointant à l'horizon. La seule chose que l'on verra, c'est le fond de son verre. Une trompette majestueuse. Un rythme qui t'emmène au cimetière. Ouimet psalmodiant Zambodia. Une montée triomphale vers un peloton d'exécution. La trompette qui fini par t'arracher une larme. Leur State of Shock à eux. Cet album est une orgie musicale, une débauche d'instrumentation par des païens qui ne respectent pas les règles. Onirique et tellement brutal. Flamboyant et primaire. Entièrement composé par David Ouimet, produit par Martin Bisi, Zambodia est un conte moderne par des saltimbanques désabusés. Une tragédie qui donne envie d'aller se pendre en sifflotant. Tod Ashley ne tarissait pas d'éloges sur eux. Sûr qu'avec son Firewater, il a tenté de les approcher. Mais c'est un mystère bien gardé. Après ça, il n'y a plus rien eu. Et c'est bien mieux comme ça. Disque unique.

Sulfur

En fait, Motherhead Bug a bien failli connaître une seconde vie. Sauf que ça s'appelle Sulfur et, à quelques détails près, on a comme un prolongement de Motherhead Bug. Le détail principal - et il est de taille - c'est que David Ouimet n'est plus la tête pensante. Le compositeur en chef. C'est une française et elle répond au nom de Michele Amar. Elle a fréquenté aussi Zambodia le temps de quelques backing vocals tout comme une poignée d'autres musiciens de Sulfur (Paula Henderson, April Chung, Jim Colarusso). Pour le reste, Sulfur donne aussi dans la démesure à la vue du nombre de musiciens qui le compose tout en piétinant les mêmes plates-bandes musicales que Motherhead Bug.

Après avoir joué dans deux groupes français (Declicks et Les Ordures), Amar largue les amarres pour New-York où elle bosse dans des studios d'enregistrement (notamment pour Roli Mosimann des Swans) et compose dans son coin des morceaux sous le nom de Virus. Après un premier concert avec notamment Yuval Gabay (Soul Coughing) et Adam Nodleman (Missing Foundation) pour l'accompagner sur scène, elle change de nom (Virus, c'est con comme nom et c'est déjà pris) et sort un premier et unique disque sous le patronyme de Sulfur.
Mais contrairement à Motherhead Bug, Amar délègue et si elle est à la base de nombreuses compos écrites au temps de Virus et qu'elle produit le disque, David Ouimet n'est pas qu'un simple participant de luxe. Tout comme les six autres personnes dont Norman Westberg (Swans) et les onze autres musiciens venus prêtés mains fortes sur un ou plusieurs titres.

C'est reparti donc pour un pas de trois, une danse frénétique. Malgré ce que dit Ouimet (We were really a drinking band. Motherhead bug was fueled by alcohol, Sulfur is fueled by brains), l'album s'appelle quand même Delirium tremens (Goldenfly records, 1998) et ce n'est pas le fruit du hasard.
L'ambiance musette filtré par le punk. Le cabaret secoué par une vague rock'n'roll. Pas le truc à la Tête Raide. Loin de moi le festif à la française. Sulfur a la fièvre. Sulfur a le fiel. Et surtout, Sulfur a la classe. Si cet orchestre bigarré n'hésite pas à jouer un air d'accordéon et faire courir la fanfare, c'est trempé dans le désespoir, la tristesse et une colère qu'on ne sentait pas aussi aiguisé chez Motherhead Bug. Pensez autant à un Nick Cave de foire et de mauvais vin qu'à un De Kift énervé. Un Fœtus sans la démagogie. La voix de Michele Amar est pleine de ressentiment, siffle comme un serpent, prête à en débattre avec n'importe qui. Des morceaux en pagaille. Seize, de quoi faire le tour du monde avec un condensé de musique du monde intemporelle. Une ritournelle de manège pour pervers. Des tours de danse plus rock qui prennent aux tripes (Revolution), du gros et de l'épais avec les violons, les cuivres et la montée en forme d'apothéose du fantastique Black Maria's ride. My heart is broken. Un flamenco qui vous brûle sur place (Toads flamenco). De la musique de gitans revue et corrigée par Jim Thirlwell. Des guitares luttant avec des violons sur Knukkles. Et un rythme toujours éperdu. Une folle course poursuite qui secoue sans cesse cet album. Mais tout ça à la fin, c'est comme le blues, ce sont des histoires de peines et de cœur et rien ni personne pour les sauver.

Sulfur avait sorti auparavant en 1996 un premier single (Water song / Nova sangre sur Lungcast records). Mais on retrouve ces deux titres (identiques à d'infimes détails près, on va pas chipoter non plus) sur ce Delirium Tremens, indissociable de Zambodia. Deux albums qui brisent les carcans, plus intenses et chaotiques que nombres groupes issus du rock pur et dur (pour ne pas dire bête et méchant). Deux groupes intouchables qui se sont brûlés les ailes, disparaissant aussi vite qu'ils sont apparus. Vous seriez bien inspirés de retrouver leurs traces. Un peu de chaleur humaine n'a jamais fait de mal.

Discographie ::

Raised By Insects... Bugview - 7''
Lungcast records 1991



Age Of Dwarfs - 7''
PCP Entertainment 1992



Zambodia - CD
Pow Wow records 1993





Sulfur
Delirium Tremens - CD
Goldenfly records 1998





Water Song/Nova Sangre - 7''
Lungcast records 1996