
noman
iodine
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Nø
Man
Glitter And Spit – LP
Iodine records 2024
Dans Glitter And Spit, c’est surtout le crachat qu’on
retient plutôt que les paillettes. Un beau jet colérique
parfaitement ajusté. Troisième album de Nø Man, groupe
de Washington DC, avec trois anciens Majority Rule. Matthew Michel (guitare),
Pat Broderick (batterie) et Kevin Lamiell (basse) ont sévit avec
Majority Rule à la fin du siècle dernier/début 2000
avec deux albums à la clé. Alors quand en 2017, le trio
a décidé de se reformer pour une tournée avec Pageninetynine
afin de célébrer le repressage de leur split LP publié
à l’origine en 2002, le trio a préféré
demander à Maha Shami, une amie de longue date, de prendre le micro.
C’est ainsi qu’est né Nø Man avec quatre personnes
optant pour un nouveau nom pour un nouveau départ pour une nouvelle
musique s’éloignant de ce qu’ils avaient pu pondre avant.
La base reste hardcore et punk. Autour et à l’intérieur,
la rage se consume différemment. Et Maha Shami, américaine
et fille de réfugiés palestiniens, est pour beaucoup dans
cette hargne suintant à chaque instant. Le crachat, c’est
elle. Celui qu’elle balance à la face de l’injustice,
de la misère et de toutes ces politiques sanguinaires, elle qui
allait rendre visite à sa famille en Palestine, passait l'été
dans cette enclave où elle a effectué toutes ses études
primaires. En tant qu'Américain, on est confronté à
un traitement humiliant, comme les nombreuses heures d'interrogatoire
à l'aéroport de Tel-Aviv. J'ai été fouillé
à nu. Enfant, on m'a pointé des mitrailleuses sur le visage.
Je me souviens très bien de professeurs qui me disaient que je
venais de Jordanie et que la Palestine n'était pas sur une carte
(New Noise Magazine US, mars 2024).
Un album écrit et enregistré avant les évènements
du 7 octobre 2023 mais dont le retentissement prend une tournure nouvelle,
une dimension encore plus forte et dramatique depuis cette affreuse date.
Une tragédie à ciel ouvert dont les répercussions
se retrouvent directement dans le chant de Maha Shami qui n’a jamais
sonné aussi féroce, acerbe et dure. Un chant qui a évolué
au fil des enregistrements. Ça vient de plus profond, ça
vient du fond des tripes, ça a pris de l’épaisseur
avec un grain orageux incomparable tout en restant audible, diaboliquement
mordant avec des variations où elle peut se montrer plus mélodique,
parler clairement sans baisser d’intensité. Bref, j’adore.
Elle est à l’avant du combat sur ce disque et est pour beaucoup
dans le plaisir procuré par Glitter And Spit.
Elle y met aussi beaucoup de cœur, un crachat plein de douleur, d’angoisse
et c’est tout ça qui ressort dans des morceaux qui ne sont
pas que des brûlots punks tapant sans discernement à toute
vitesse. Les climats sont lourds, sombres. Les rythmes appuyés,
puissants. Les riffs tranchants, précis. Il émane des approches
post-hardcore, du poignant flamboyant, des mélodies qui rayonnent,
des ambiances plus troubles entre deux coups de poignards, de nombreuses
subtilités notamment dans le jeu de guitare et deux courts instrumentaux
qui sont plus que des interludes (Eye Spy et le très beau
Damaar pour clôturer le disque avec sa guitare acoustique)
mais un signe que Nø Man a plus d’une corde à son arc
et bien plus riche que le cadre dans lequel on pensait qu’il allait
évoluer. Ce n’est ainsi pas un hasard si le groupe reprend
Burning Skulls, compo écrite à l’origine par
Jeremy Gluck et popularisée par Lydia Lunch et Rowland S. Howard
sur Shotgun Wedding. Une collection de morceaux sacrément probants
et addictifs, qui mettent une pression d’enfer à l’instar
de Eat My Twin, se révèlent effrénés
et irrésistibles comme God’s Neighborhood ou March
Of Ides, douloureusement mélodiques et outrageusement incisifs.
Non, définitivement pas de paillettes dans un tel contexte mais
un disque fort, sincère et un splendide crachat dans la fureur
de l’actualité.
SKX (24/05/2024)

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