moe
bruxamaria
conradsound


Bruxa Maria & MoE
Skinwalker – CD
Conrad Sound records 2022

Bruxa Maria et MoE avaient déjà partagé un disque ensemble mais c’était chacun sa face. Avec Skinwalker, c’est tout le monde en même temps. Prépare toi à souffrir. Ça fait du (beau) monde au mètre carré. Ça fait surtout une sacré densité de décibels dans la pièce. Une pluie de freeture noise en perspective et en multi-dimensions. Un ouragan d’hallucinations auditives. De quoi la nuit venue se transformer en loup-garou, ce qui est plus ou moins la traduction européenne de skinwalker, ces sorciers dans la culture des indiens d’Amérique capables de se métamorphoser en n’importe quel animal.
Quatre titres en quarante-cinq minutes. Vous aurez compris de vous-mêmes que la durée des morceaux n’a rien à voir avec ceux des Ramones. Et que ces morceaux ne sont pas représentatifs du répertoire habituel des deux groupes. Quoique avec les Norvégiens de MoE et leur esprit aiguisé sur l’orbite expérimental s’échappant régulièrement dans des sphères collaborationnistes téméraires, Skinwalker est une nouvelle belle pièce à leur collection qui fait cogiter.
Many forms provoke many responses. Vous n’entendrez qu’une partie de la musique, le reste est le fruit de votre imagination. La bête qui est en eux se joue de vos perceptions. Ces vagues bruitistes créent des projections mouvantes. Toutes ces sonorités qui fourmillent, ces voix qui rampent dans l’ombre, l’écho des basses conjointes de Dave Cochrane et Guro Skumsnes Moe, les lentes déflagrations tortueuses, les larsens, les échardes soniques et les effets mystérieux des guitares de Gill Dread et Håvard Skaset, les triturations électroniques de Robbie Judkins, le saxo concassé de Devin Brajha Waldman et les coups sourds et éclatés de la batterie de Paul Antony forment un magma sonore paranoïaque, suggestif, radical, flippant.
Le début du disque avec les quatorze minutes de Shapeshift Skylight laisse augurer un réveil calme. Le saxo égrène ses suaves et tranquilles notes. La batterie rythme normalement les débats. Le chant de Guro Moe rentre dans la danse comme sur n’importe quel disque de MoE. Et puis les cauchemars se dessinent peu à peu, la tension augmente, l’oppression étend ses tentacules, la machine se met en branle et le déluge à la lenteur consommée peut s’abattre de l’intérieur. Il est encore permis de respirer avec les onze minutes suivantes de Weavers Of Evil, promenade fantomatique dans un cerveau rongé par une folie insidieuse qui finit par tout dévorer. Ce que font inévitablement les deux derniers titres dans un drôle de fracas de bruits de fin du monde. Mais le plus surprenant dans toute cette funeste mélopée noise exigeante, c’est de trouver matière à éprouver un certain envoûtement à tout ce bordel, ressentir du plaisir à se laisser submerger par ces énormes remous de bruits à l’état brut malaxées avec force et passion, arriver à entrevoir des visions aussi inquiétantes que sombrement oniriques pour être transporté dans un univers incertain qu’on ne visitera pas tous les jours mais qui vaut le coup d’être connu.

SKX (29/11/2022)