triggercut

Trigger Cut
Rogo – LP
DIY records 2021

Si un terme doit résumer Rogo, c’est urgence qui va de pair avec absolue. Dans la foulée d’une tournée en Angleterre annulée, d’un Brexit qui met de gros bâtons dans les roues et d’un sale virus qui met définitivement tous les plans en l’air, Trigger Cut a exhumé toute son énorme frustration dans dix morceaux férocement abrasifs et incendiaires. Les déceptions, ça a du bon.
Rogo, second album du trio allemand, n’est pas très différent à la base de Buster. Il est juste empreint d’une fièvre inédite et ça fait toute la différence. Trigger Cut augmente la température et la teneur en frénésie, ce qui fait que sa musique n’est plus seulement une succession de morceaux noise-rock parfaitement ajustés mais une plongée dans la psyché confuse et agitée d’un trio luttant contre des éléments contraires.
Le souffle de Rogo fait chaud dans le dos. Est d’une spontanéité à toute épreuve. Ne lâche jamais le mords, n’offre pas de répit. Est d’un bloc homogène et pourtant chaque titre est unique. Trépidant comme jamais, furieux comme au premier jour, se lançant à corps perdu sans se soucier des dégâts, magnifiant ainsi un noise-rock d’école se trouvant submergé de tous les cotés, profitant d’une fougue nouvelle pour élaborer des morceaux encore plus solides alors que le chaos guettait.
Trigger Cut pervertit les codes. On connaît l’amour invétéré du chanteur-guitariste et principal protagoniste de Trigger Cut (Ralph Schaarschmidt) pour le noise-rock, le post et art-punk (on doit avoir un nombre incalculable de disques en commun). Tous les groupes correspondants à ces différentes scènes depuis quarante ans rentrent dans les influences de Trigger Cut (autant dire que ça en fait un sacré paquet) même si des groupes comme Big Black, Rapeman ou Scratch Acid sortent du lot mais au final, Rogo est plus que la somme de tout ces glorieux spectres, c’est la quadrature du cercle qui s’étale de toute son évidence devant vos tympans en feu avec un surplus de hargne pour faire avancer la roue.
Avec l’aide d’un nouveau batteur (Mat Dumil) bien que l’ancien ait participé à la moitié de l’écriture de Rogo et un bassiste (Daniel Wichter) qui a aussi enregistré l’album, Trigger Cut est non seulement doté d’une section rythmique spectaculaire frappant encore plus fort et juste que précédemment, il offre toutes les garanties d’un combo uni et déterminé, une seule main ferme distribuant les mandales à tour de bras. Avec un guitariste qui chante/crie comme ça lui vient et lamine des riffs aussi acérés que ulcérés, déversant son lot de notes corrosives et étranglées, Rogo est une écharde persistante finissant par ouvrir des brèches béantes, un déboulé sonique cherchant l’air continuellement mais où chaque instrument trouve sa place sans forcer, des flux et reflux qui matraquent, filant droit malgré les nombreuses convulsions et permettent à des fulgurances mélodiques d’exister. Et elles sont nombreuses. Précieuses même pour donner tout le vernis et l’ampleur nécessaires à cette déferlante noise. Urgent donc, du genre qui ne se calcule pas et provoque de petits miracles. Rogo en est un.

SKX (09/04/2021)