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Mange Ferraille
Erba Spontanea – LP
Dur et Doux/A Tant Rêver Du Roi/Kerviniou/Poutrage/Tendresse records 2020

La musique de Mange Ferraille est à l’image de l’objet mystère mis à disposition par Jean Tardy pour la pochette et dont le grand frère ornait déjà le précédent disque. Une mécanique étrange qui ne donne pas son nom, l’impression d’avoir déjà vu/entendu ça, que les différentes pièces prises séparément sont simple d’utilisation, n’interpellent pas mais une fois mis bout à bout, l’assemblage ne correspond plus à rien, obéit à une logique qui nous échappe.
Erba Spontanea est un objet fait d’un seul tenant. Et je ne sais toujours pas comment ça marche vraiment. À peine peut-on deviner quelques jointures fixant de vagues chapitres. Et que seul le vinyle arrive à séparer en deux par la force d’un système implacable. Deux faces pour quarante minutes. Un bloc en continu mais pas sans respirer. Un long fil qui s’étire sans craquer, qui se répète en évoluant, qui prend de l’épaisseur en changeant de peau. Il s’agit toujours de transe, de se perdre et s’oublier, se libérer d’un enfermement, repousser les limites, aussi bien physiques que mentales.
Le propos ne diffère pas de l’enregistrement d’avant mais le procédé pour y arriver change, se fait plus nuancé et subtil, apporte plus de reliefs, moins violent tout en étant extrême dans sa construction, n’hésitant pas à verser dans le drone pendant de très longues secondes, des reprises en douceur jusqu’à s’autoriser pour la première fois du chant dans les dix dernières minutes. C’est Anthony Fleury, un des deux guitaristes qui s’y colle. Une voix posée, grave, légèrement incantatoire, progressivement intense et ce nouvel instrument à la panoplie du trio s’insère remarquablement dans les spirales infernales où le rythme n’est donc pas toujours roi. Mais il sera difficile d’y échapper tout de même, cette pulsation tribale, le cœur de Mange Ferraille. Un battement modulé, une vigueur à multiples tonalités, un mouvement perpétuel avec deux guitares (et parfois un orgue) grignotant l’espace, le tapissant d’ondes grésillantes, de vibrations ombrageuses et de brumeux tremblements. Mange Ferraille ménage sa matrice répétitive, tempère son élan cyclique, rend digeste, fin et habile un défi osé qui aurait pu s’avérer trop copieux et fou. Erba Spontanea n’a pas délivré tous ses secrets et c’est parfait ainsi. Une fois l’objet en branle, aucune envie de l’arrêter, juste l’envie inéluctable de se laisser aller et porter par ses puissants et profonds rouages hypnotisants.

SKX (16/02/2021)