sumac+keijihaino
trost


Keiji Haino + Sumac
Even For Just The Briefest Moment / Keep Charging This «Expiation» / Plug In To Making It Slighty Better – 2xLPs
Trost records 2019

En juillet 2017, un seul mois après avoir enregistré American Dollar Bill, premier volet de leur collaboration, le vénérable japonais Keiji Haino et le trio américain Sumac repartaient à l’assaut de citadelles imprenables en mettant en boite un nouveau double album. Il faut battre le fer tant qu’il est bouillant. En plus de montrer une inspiration de tous les instants, une volonté d’en découdre inaltérable et une santé au top. Car si se confronter aux enregistrements de plus d’une heure à chaque fois de Sumac + Haino demande une certaine abnégation, les engendrer est également un sacré défi.
Et le plus surprenant, en dépit du rapprochement des deux enregistrements publiés à un an d’intervalle avec exactement le même personnel jouant des mêmes instruments, le résultat est relativement différent. À part les titres toujours ridiculement longs et cabalistiques, Haino et Sumac ont décidé d’aborder la notion de déluge par les cotés, contourner la masse sonore volcanique, la sculpter de biais, alléger la densité. Even For Just The Briefest Moment possède une approche moins physique, moins dans le combat, laissant des bribes d’espaces et misant plus sur l’hypnose par strangulation lente. En lieu et place d’éruptions violentes et de chaos prolongé et aliénant, les quatre protagonistes avancent ensemble, d’une manière lancinante, erratique et irréversible, la pression monte crescendo à l’instar d’un Now I’ve Gone And Done It (on vous donne la version courte des titres) majestueux. Ou alors comme un ressac qui n’en finit pas de se cogner contre les rochers, repartir au large dans un mouvement plus lent, revenir plus fort, accentuer l’intensité, se dérober avant le jaillissement ultime, être pris dans une étreinte infernale, secouer dans tous les sens, se sentir tout petit au milieu du tsunami des vingt-neuf minutes de la compo radicale qui a donné son nom au disque tout en se permettant de respirer et d’évoluer sans l’impression fatidique de revenir à l’état sauvage.
Haino et Sumac donnent le sentiment de naviguer dans une action plus coordonnée, à l’écoute des uns et des autres, ce qui n’empêche pas parfois de regretter la violence cathartique et anarchique du précédent enregistrement. Mais entre la section rythmique de haute volée du batteur Nick Yacyshyn accompagnant, ponctuant à merveille l’effervescence générale quand ce n’est pas lui qui donne la direction, Brian Cook avec les grondements telluriques de sa basse pour façonner l’atmosphère d’une puissance inquiétante et supérieure et le dialogue des deux guitares s’imbriquant, se trouvant plus facilement avec Aaron Turner dans un registre plus grave, noise, râpeux et Haino au jeu plus claire, aigu, dissonant, ce deuxième volet est une sacré bestiole envoûtante. Le chant toujours aussi singulier et animal de Haino, les stridences de sa flûte ou le taepyeongso (hautbois traditionnel coréen) finissent d’apporter une touche unique à un disque encore une fois ardu, exigeant mais aussi plus que jamais (étonnamment) poétique, viscéral, déchirant, ensorcelant, à la limite de l’hallucination auditive. Un disque qui fait perdre ses repères, dans lequel il faut se plonger d’un bloc de la part d’un quatuor redoutable qui fait preuve d’une force mystérieuse et subjuguante.

SKX (09/02/2020)