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16-17
Phantom Limb – LP
Trost records 2020
16-17, deux nombres énigmatiques qui renvoient plus de vingt ans
en arrière. A l’époque du phénoménal
album Gyatso
quand le groupe suisse écrasait toute la scène noise-free-jazz-indus
de son incommensurable densité et folie. Phantomb Limb n’est
pas le signe d’une reformation. C’est une exhumation. Des enregistrements
datant de 1995 que Alex Buess, seul maître à bord, a sorti
des placards. Un travail de base de ce qui aurait dû servir de successeur
immédiat à Gyatso. À cette période,
le saxophoniste était entouré de Damian Bennett (Techno
Animal) à la basse et de Michael Wertmüller, le batteur d’Alboth!.
L’album n’a jamais vu le jour. Jusqu’à aujourd’hui
donc.
Mais cette exhumation ne s’est pas faite sans modification. Phantom
Limb n'est pas l’album dans son jus, tel qu’il aurait dû
sortir en 95. Alex Buess a retravaillé, mixé et remastérisé
les bandes en 2018. Et surtout, des voix ont été rajoutées.
L’homme aux multiples vies Eugene S. Robinson (Oxbow) a apporté
tout son charismatique organe vocal, tout comme Kasia Meow (Mrs. Robinson
à la ville) dont les cris vampirisent et glacent d’effroi
Words Of Warning. Il faut également mentionner la présence
de Roger Graf (e-guitar, dobro et un peu de voix aussi) et Daniel Buess
(batterie, décédé en 2016). Et l’existence de
ces voix n’est pas anodin. Le chant a toujours été
un instrument très secondaire chez 16-17, voir totalement inexistant
sur Gyatso. Alors que sur Phantom Limb, c’est un élément
central. Quand Robinson se charge d’amener toute sa science du chant
halluciné sur quatre des sept morceaux, ça ne passe jamais
inaperçu. Et on s’en réjouit. Parce que les deux seuls
titres sans chant (Interruptus et Asia’s Lullaby) sont
aussi les deux moins intéressants, sorte de collage abstrait et
aléatoire de bandes sonores plus ou moins angoissantes dont on
peine à saisir le fil, l’impression que le bricolage n’est
pas la passion première d’Alex Buess et que cette expérience
de retour à la vie de ces bandes enfouies a atteint ses limites
sur ces deux titres. Tout le contraire des morceaux avec voix donnant
le sentiment de tirer vers le haut cet enregistrement incomplet d’un
passé lointain qui rimait avec incertain.
On en vient même à se dire que 16-17 n’attendait que
ça et particulièrement Eugene Robinson pour un rôle
taillé à sa mesure, taillé pour une musique massive
et enragée qui aurait pu le voir débarquer vingt ans plus
tôt sans aucun problème.
Phantom Limb s’ouvre ainsi de façon magistrale avec
The Hate Remains The Same renvoyant dans les cordes de Attack
Impulse qui dynamitait de la même façon Gyatso.
Rien que pour ce morceau turgescent représentant toute la quintessence
de 16-17, ces bandes ont bien fait de remonter à la surface. Et
c’est le cas également pour Words Of Warming avec un
duo d’enfer totalement habité, entre les hurlements comme
enfouis mais perçants de Meow et la complainte ténébreuse
de Robinson pour faire contrepoids. Alors quand en plus, musicalement
ça pousse derrière comme un troupeau de bisons s’enfuyant
devant un incendie généralisé avec tout le chaos
et la folie d’un monde virant au cauchemar, ça devient carrément
aliénant. Et c’est le cas également pour Crash,
l’insensé Subliminal Song qui vous trimballe sans vergogne
dans son dédale monstrueux de sonorités azimutées
et Bender dont le son s’avère défaillant à
plusieurs reprises, comme écrasé, avant de revenir plus
agressif que jamais dans la plus pure tradition 16-17 avec charge monumentale
de la basse, matraquage et rafales de batterie frénétiques
et basse ou clarinette basse soufflant furieusement sur les braises. Robinson
n’a plus qu’à se fondre dans le paysage puis, comme un
guerrier, se baisser pour récupérer les scalps et offrir
sur un plateau une poignée de morceaux qui font du bien par où
ça passe car il n’y a que 16-17 qui puisse donner un tel spectacle.
Alors certes, ce n’est pas le meilleur 16-17 mais pour ce genre de
bandes ressurgissant du passé, il ne fallait pas s’attendre
à des miracles. Mais c’est pensé et amélioré
avec suffisamment de talent pour faire de Phantom Limb un disque
complétant judicieusement la discographie
de ce groupe inestimable.
SKX (03/04/2020)
 
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