chatpile
reptilian


Chat Pile
This Dungeon Earth/Remove Your Skin Please – LP
Reptilian records 2020

Chat Pile, c’est le nom donné à des immenses amas de résidus miniers toxiques contaminés par des métaux dans l’état d’Oklahoma, abandonnés et laissés à l’air libre après plusieurs décennies à extraire abusivement du sol le plomb et le zinc sans se soucier un seul instant des conséquences sur la nature et les habitants qui valaient moins qu’un tas de cailloux. C’est le capitalisme dans toute sa splendeur. C’est une ville devenue fantôme, Picher. C’est une zone totalement sinistrée. Un cadre convenant parfaitement à la musique de Chat Pile, nouveau groupe d’Oklahoma City, des enfants du pays respirant l’air vicié et funèbre du coin pour mieux vous le recracher à la gueule.
En 2019, Chat Pile avait publié deux cassettes, quatre titres à chaque fois. This Dungeon Earth en mai et Remove Your Skin Please en novembre. Reptilian, toujours dans les bons coups, a regroupé les huit morceaux sur un vinyle qui n’arrête pas depuis de se consumer sur la platine. Car le feu sacré est en Chat Pile. On peut évoquer le nihilisme et la sombre lourdeur de Swans, le rythme destructeur de Godflesh et sa pesante basse, l’acidité de Big Black ou Jesus Lizard (je sais pas quoi mais ya un truc qui flotte dans l’air), bref que des pointures avec lesquelles Chat Pile n’avait sûrement pas l’intention de se frotter et encore moins la prétention de ressembler. Tout ça pour dire que Chat Pile a un putain de tempérament et une personnalité bien trempée car le groupe qui accouche de toutes ces influences supposées (vous auriez pu en rajouter d’autres) ne peut être qu’une drôle de bestiole dont on n’oublie pas le regard.
Contrairement à ce que j’avais pu croire l’année dernière à l’écoute des cassettes, Chat Pile n’utilise pas une boite à rythmes. Cap’n Ron (c’est le pseudo du batteur) joue sur une batterie électronique (Yamaha Dtxplorer) d’où la sonorité froide et implacable, une fausse impression renforcée par un jeu très carré, précis, méthodique, quasi martial et qui fait mal. Mais tout fait mal et on en redemande. Un rythme globalement lancinant, une violence contenue qui met au supplice, une tension exacerbée, une puissance contrôlée, une torture mentale, une folie sous-jacente très bien mis en scène par le chant de Raygun Bush (tout le monde a le droit à son pseudo, Stin pour le bassiste et Luther Manhole pour le guitariste) comme quand il répète son angoisse Don’t Do It sur le magistral Mask.
Huit morceaux malsains, inconfortables, punitifs, aiguisés et pourtant si beaux avec des éclats mélodiques, une guitare qui sort des arpèges magnétiques ou des riffs assassins, ce groove fortement pénétrant (quel son de basse !) et cette aura très sombre et hallucinée entourant ce délire paranoïaque.
Que des morceaux qui marquent au fer rouge, de l’aliénant Dallas Beltway au très tendu et plus rentre-dedans Rat Boy ou Crawlspace qui s’autodétruit, la compo semblant se bouffer elle-même et coupe subitement.
Chat Pile avait mis innocemment ces morceaux gratuitement (ils le sont toujours) sur son bandcamp. Ils sont les premiers étonnés du fort engouement provoqué par ces deux enregistrements faits par eux-mêmes dans leur coin paumé. Mais ce n’est que justice. Un incontournable.

SKX (02/09/2020)