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Scarcity Of Tanks
Hinge – CD
Total Life Society records 2018
Garford Mute – 2xLPs
Total Life Society records 2017
Ringleader Lies - CD
Total Life Society records 2016

Scarcity Of Tanks, c’est un syndrome connu, un qu’on n’aimerait ne jamais citer, le syndrome du secret le mieux gardé et cette fois-ci, il vient de Cleveland. C’est loin d’être un trou à rat et avec tous les musiciens célèbres qui ont fréquenté ce groupe, il est fortement étrange que Scarcity Of Tanks n’est pas fait plus retentir les trompettes de la notoriété. Et pourtant, après neuf albums depuis 2008, Scarcity Of Tanks reste très confidentiel. Des disques uniquement sur leur propre label, Total Life Society. Très peu de distribution ou promo qui deviennent totalement inexistantes quand il s’agit de traverser l’Atlantique. Peu de concerts et sans doute quasi jamais de tournées. Et surtout, un groupe qui change de personnel et de formule à chaque sortie. Scarcity Of Tanks est avant tout le projet d’une seule personne, le dénominateur commun à tous ces disques, le chanteur Matthew Wascovich dont il avait été question récemment avec le génial Hidden Rifles. Un exutoire individuel et une multitude de musiciens pour mettre en musique sa prose abondante mais jamais envahissante. Scarcity Of Tanks n’est pas aisé à suivre, ne suit aucune tendance, se donne peu de moyens pour réussir. Raison de plus pour en parler.
La liste des participants est éloquente. Sur un seul ou sur plusieurs albums ou le temps d’un unique titre, Weasel Walter, Norman Westberg, Mike Watt, Lee Ranaldo, Kid Millions, Nels Cline, Doug Gillard (Nada Surf, Guided By Voices), Tom Herman et Scott Krauss (Pere Ubu), Scott Pickering (Spike In Vain, My Dad Is Dead, Prisonshake) et une grosse poignée d’autres noms moins illustres ont participé à ce collectif très mouvant, pouvant compter cinq musiciens minimum par album mais qui montait parfois au-delà de dix sur d’autres enregistrements.

Présentation du phénomène en se concentrant sur leurs trois derniers albums et surtout le petit dernier, Hinge en 2018. Pour cette édition, Scarcity Of Tanks a fait sobre. Que cinq participants avec Doug Gillard, Don Goldwin, Nate Scheible et Michael Yonkers, le même qui a fait deux albums avec The Blind Shake. Et Wascovich bien sûr, le maître des lieux. Pour décrire la musique de Scarcity Of Tanks, la problématique est identique et aussi fastidieuse que pour énoncer la liste de tous les participants. Il faudrait citer quantité de style musicaux, d’influences, d’approches pour tenter de cerner la bête. Mais bizarrement, le groupe ne donne jamais l’impression de créer un patchwork musical incompréhensible sautant du coq à l’âne, une bouillie illisible ne sachant pas quel genre adopter. Scarcity Of Tanks a crée son propre langage, une identité sonore à partir de multiples courants apportés par d’innombrables musiciens se modelant dans la matrice Scarcity Of Tanks qui est plus forte que tout. Et elle s’avère passionnante. Si vous voulez entrer dans le monde de Scarcity Of Tanks, Hinge est une porte pertinente. La déconstruction des structures classiques, un certain esprit free et avant-gardiste, un cadre narratif ont toujours été plus ou moins le fil rouge du groupe. Avec Hinge, les dix morceaux sont plus concis, carrés avec de nombreuses pointes d’accroches mélodiques. De quoi rassurer le chaland. Ce qui n’empêche pas le chaos de se distiller avec tact, de tordre subitement le cou à des plans qui s’annonçaient trop tranquilles, d’exploser l’agencement, de cracher des fulgurances brillantes, de vous amener dans des balades sinueuses, sombres, tendues (I Don’t Want To See You) ou de flirter avec l’étrange. Bref, Scarcity Of Tanks n’a jamais bridé sa liberté qui n’est pas loin d’être totale en matière de champ créatif à investir. Avec Hinge, il met les formes et surtout beaucoup de brio pour composer des morceaux haletants, toujours surprenants, chacun possédant une forte personnalité et une aura bizarrement anguleuse et psychédélique en même temps, hypnotique sans cesse. Bienvenue chez Scarcity Of Tanks.

Les deux albums précédents, Garford Mute (2017) et Ringleader Lies (2016) sont beaucoup plus foisonnants et tout aussi intéressants bien que souffrant de quelques moments de flottements bien compréhensibles. Chaque album dure soixante-huit minutes pour respectivement 23 et 22 titres. La perfection n’est pas atteinte à chaque titre. Des disques pour lesquels Wascovich a sorti le grand jeu. Dix-sept invités pour Garford Mute, treize pour Ringleader Lies avec Weasel Walter, Norman Westberg ou Lee Ranaldo en tête de gondole mais aussi Steve Mackay (le saxophoniste sur Fun House de Stooges) et Brent Gemmill (Lung, Terminal Lovers). Violons, cuivres, xylophone, claviers sont de la partie mais Scarcity Of Tanks garde son aura rock et finement noise. Il faut du temps pour apprivoiser de tels parpaings. A l’heure où je vous parle, ce n’est pas encore fait et ça ne le sera sans doute jamais mais je peux vous assurer que ces albums regorgent de superbes compos, des déconstructions épiques retombant miraculeusement sur leurs pattes, de violents coups de butoir, un parcours plein de méandres, de pièges, de rêveries, de passages aigres-doux, de répétions aliénantes, à la démarche démantibulée ou volontaire, d’un chant rejoignant parfois les tonalités et la scansion d’un G.W. Sok pour un groupe qui conserve son parfum iconoclaste, loin du bruit ambiant, virevoltant dans son monde unique avec une discographie conséquente dans laquelle il est bon de se perdre. On vous conseillera humblement d’ailleurs le triptyque de 2012 avec trois albums publiés cette année là : Vulgar Defender, Fear Is Not Conscience et Ohio Captives.

Et comme Scarcity Of Tanks ne s’arrête jamais, le dixième album est pour 2019 et il se nomme Dissing The Reduction. Et ce n’est toujours pas fini. Matthew Wascovich est aussi impliqué dans d’autres projets qui devraient (normalement) réaliser des albums cette année. Flower Destroy avec Norman Westberg (Swans), Raul Morales (Mike Watt & The Missingmen), Doug Gillard et Jonny Bell (Crystal Antlers). Tramp And The Parasites avec toujours Gillard et trois autres musiciens. Et pour terminer, Vicious Fence avec Mark Arm (Mudhoney), Tom Watson (The Red Crayola), John Talley-Jones (Urinals) et deux membres de Mike Watt & The Secondmen. Affaire(s) à suivre ! Et surtout, écouter Scarcity Of Tanks.

SKX (08/08/2019)

















Garford Mute LP :







Ringleader Lies CD :