moderntechnology


Modern Technology
s/t 12''
Self-released 2019

La technologie moderne, ça donne un batteur et un bassiste-chanteur en provenance de Londres pour une tentative d’infiltration de vos circuits neuronaux afin de créer un monstrueux bug. Deux est un chiffre suffisant pour créer le chaos. Chris Clarke et Owen Gildersleeve appliquent consciencieusement une lourdeur impénétrable avec une basse de trois tonnes et deux mouvements, de haut en bas, type massue luttant avec une batterie à la frappe pénétrante et persuasive, roulant sur ses toms basses une pesanteur de forçats. Ça, c’est pour le décor d’ensemble, la déflagration soudaine qui vous saute à la gorge quand le bras du tourne-disque se pose délicatement sur le premier des six morceaux du vinyle transparent. Une crise de panique avec des grésillements de partout, une distorsion colossale de la basse, les larsens, un climat claustrophobique et une sorte d’emphase tordue dans le chant capable de devenir tonitruant et se taillant un chemin dans un sinistre voile de reverb qui n’est pas fait pour rassurer.

Pourtant, le premier enregistrement du duo qui se veut court mais dure tout de même pas loin d’une demi-heure se révèle étonnement respirable. Lourd, écrasant, foutrement sombre et brutal mais avec toute l’amplitude nécessaire et des subtilités insoupçonnées pour ne pas fuir sous les coups âpres ou rester froid devant l’apparente austérité de cette féroce paire rythmique qui racle plus d’une fois la peau comme du papier de verre. La mélodie n’est jamais leur propos. Cependant, la basse sait sculpter des territoires plus troubles et funestement sinueux comme sur Select Retail. L’économie de notes est son credo mais Clarke n’en reste pas moins efficace pour en tirer le meilleur, faire vibrer les murs et aussi la corde sensible, aussi tendue et lugubre soit-elle, avec des accords emprunts d’une sourde mélancolie, voir d’un profond abandon dont l’écho se prolonge jusqu’au petit matin blafard, seul contre tous. Quelques fissures apparaissent dans la citadelle imprenable. Le début de Modern Detritus s’amuse d’un gimmick presque ludique pendant que Queue Jumper ou Toner montrent un certain sens du groove alors que le rythme général est plutôt à la massiveté sans être spécialement lent. Chaque coup est vigoureusement appuyé, écrase tout en laissant le temps de cogiter et accélère même franchement sur la compo la plus brève, Project Fear. La peur toujours, instrument de contrôle des masses pour des paroles engagées ne contant pas fleurette mais, à l’instar de la musique, sont là pour faire mal et vous mettre la tronche devant des faits qui ne sont pas agréables à entendre.
D’ailleurs, Modern Technology joint le geste à la parole. Tous les bénéfices de la vente de ce disque iront pour un organisme caritatif pour les sans-abris et un autre à propos de la santé mentale. Six morceaux aussi primaires que cérébraux, punitifs mais pas dénués de lumière, trimballant une sorte de spleen lourd, décharné et abrupt sur des épaules suffisamment puissantes pour supporter tout le poids d’un monde que le duo a décidé d’affronter les yeux dans les yeux.

SKX (24/04/2019)