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Thurston Moore
Rock'n'roll Consciousness – 2xLPs
Caroline International/Fiction records 2017

Il y a des disques qui tombent au bon moment mais on ne le comprend qu’après, petit à petit. The Best Day, le précédent album de Thuston Moore, était, est toujours, de ceux-là. Celles et ceux qui ont ce penchant – il paraitrait que cela peut également devenir un grave défaut – de ponctuer leurs existences et les évènements qui parcourent celles-ci de repères musicaux comme autant de bouées de sauvetage comprendront donc : The Best Day reste cet album important, d’une beauté immaculée et, peut-être, salvateur pour son auteur comme pour son auditeur. J’écris « précédent » à propos de The Best Day bien qu’en fait le guitariste/chanteur n’arrête pas de publier des disques plus ou moins expérimentaux mais Rock'n'roll Consciousness est la suite logique – et tant attendue pour certains – de The Best Day : même formule musicale, mêmes types de compositions, même line-up ou presque, mêmes tentatives de poésie cristalline, même nostalgie juvénile, mêmes réminiscences de Sonic Youth… le fan ne va donc pas être trop dépaysé ni déçu. Et je ne le suis absolument pas.

Formellement, Rock'n'roll Consciousness a cependant tendance à être supérieur. En tous les cas il est plus calibré, plus dynamique, moins introspectif, plus ouvert, plus facile d’accès. Moins gracieux, moins magique aussi. Et avec une volonté non feinte et évidente de plaire, de charmer. The Best Day portait en lui une fragilité que Rock'n'roll Consciousness passe son temps à mettre au second plan. Les guitares sont plus épaisses. Thurston Moore se lance parfois dans des soli qui, il y a quelques années encore, m’auraient fait hurler de rage comme de désespoir, tant on y ressent cette volonté lyrique de Moore de faire vocaliser son instrument, lorgnant presque du côté des bouclettes dorées d’un Peter Frampton. Mais notre homme est un vrai funambule, il retombe constamment sur ses pattes, avec ce petit sourire espiègle de celui qui l’espace d’un instant a brouillé les pistes et sait que sa blagounette a fait mouche. Rock'n'roll Consciousness est un album presque léger, éclairé par une lumière un peu crue et avant tout charnelle.

Rock'n'roll Consciousness repose également davantage sur sa section rythmique : l’association entre Steve Shelley (ex Sonic Youth, etc.) à la batterie et Deb Googe (My Bloody Valentine) à la basse fait de véritables merveilles. La basse est même étonnamment présente, puissante et ronflante. Ce qui, je dis cela sans aucune ironie bien que je doive avouer y avoir pensé très fort, était très rarement le cas chez feu Sonic Youth. On comprend mieux alors ce titre au départ assez déconcertant de Rock'n'roll Consciousness parce qu’il décrit la musique d’un homme de 59 ans qui a tant appris, tant expérimenté et revient, éternellement, en toute simplicité, vers ce qu’il a toujours aimé. Rock'n'roll Consciousness ne tombe pas à un bon moment – ni à un mauvais – mais il entérine le fait que Thurston Moore est bien cet incontournable et intemporel gamin dégingandé du rock indé américain.

La seule chose que je regrette à propos du disque est sa version limitée (mille exemplaires si j’ai bien tout compris). Tout Rock'n'roll Consciousness tient sans problème sur un vinyle simple or il n’y aucune justification à l’étaler sur un double LP, sûrement pas cette quatrième face totalement dépourvue de musique mais gravée d’un motif d’une laideur absolue – en anglais on dit « etched ». Un truc aussi ridicule qu’inutile alors qu’il y aurait largement eu la place d’inclure ici Cease Fire, single avant-coureur et pour l’instant uniquement disponible via le coupon mp3 joint au disque ou en libre téléchargement via le site de Sonic Youth. Une chanson énergique et forte, un plaidoyer contre la propagation des armes à feu aux Etats Unis et qui n’aurait absolument pas fait tâche sur l’album. Et pour les curieuses et les curieux qui se sont posés la question : Fiction records est bien le même label qui dans les années 80 publiait les disques de Cure. Quant à Caroline International, il s’agit de la sous-division indie d’Universal.

Hazam (08/05/2017)