dead
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Dead
The Trilogy – 5xLPs
Rock Is Hell records 2017

Impossible de ne pas commencer cette chronique sans parler de l'objet. Vive le matérialisme. On crèvera tous sous nos détritus. Le label autrichien Rock Is Hell a édité à 66 exemplaires (diabolique mais pas trop) le coffret The Trilogy qui, comme son nom l'indique, regroupe cinq disques. Et encore, à la base, The Trilogy contient quatre disques. Mais la générosité étant une seconde nature de l'Autriche au même titre que le don de soi, un bonus LP s'est glissé dans la trilogie et uniquement là alors que vous pouvez vous procurer les quatre autres disques indépendamment. Les joies de l'économie libérale. Chaque disque bénéficie d'une pochette qui s'ouvre en grand avec un artwork qui a franchement de la gueule signé Wer et qui doit être, si je n'mabuse, le batteur de Dead. Mon tout fait un poids non négligeable, ce qui préférable pour supporter la charge toujours aussi lourde du duo Australien Dead et leurs nombreux invités. Revue de détail.





Le Volume I s'appelle Collective Fictions et c'est un split entre Dead et Mark Deutrom. Quand on sait que Melvins occupe une place prépondérante dans le paysage sonore de Dead, la présence de Mark Deutrom, l'homme au chapeau de cowboy et bassiste des Melvins entre 1993 et 1998, n'est pas une surprise. Dead se fait plaisir et s'empaffe deux énormes titres de onze et huit minutes, Masonry et In The Car. Pour l'occasion, Jace et Jem, respectivement bassiste et batteur de Dead passent en trio avec l'invité BJ Morriszonkle aux claviers et turbosonics (??). Je ne sais foutre rien ce que peut cacher ce terme guerrier qui pouvait faire craindre le pire mais au final, c'est loin d'être le visage de Dead le plus meurtrier. Dead explore sa face mesurée et relativement inédite, celle qui propose par strates successives et par répétitions un climat qui fait dans la retenue, dans le lent calcul d'une hypothétique et magistrale explosion qui ravagerait les terres inhospitalières des Melvins. Sauf que ça n'arrive jamais malgré une lourdeur plus prononcée sur la fin de Masonry. C'est plutôt le clavier façon orgue qui déboule, encore plus sur In The Car qui vous emmène dans une drôle de promenade pas inintéressante et à l'intensité latente. A condition d'aimer les voyages à risque et bizarrement planant.
Le voyage avec Mark Deutrom s'annonce également étrange. Le bonhomme a déjà publié quatre albums sous son nom. Jamais entendu. En tout cas, si vous vous attendiez à du Melvins bis, peine perdue. Musique instrumentale en quatre morceaux, parfaite bande-son d'un film tour à tour vaguement inquiétant, propice à la méditation, s'étirant langoureusement dans une partie de guitare belle comme un camion (The Presence Of An Absence) ou prenant des virages expérimentaux dans le dédale d'une orchestration bigarrée mais toujours posée et ma foi assez séduisante sur Bring The Fatted Calf. A découvrir.
Sur la tranche du disque, Dead s'est amusé à retranscrire des phrases qui sentent le vécu. Sur celui-ci, il est écrit : It's bands like that who are ruining the industry, That's gonna have to come way down. I only D.I Bass. That's not music. There is no way you're moving the drumkit.







Le volume II a pour titre Untitle. Si les deux faces sont cette fois-ci consacrées à Dead, BJ Morriszonkle circule toujours dans les parages, rajoutant du chant à ses habituels claviers. On retrouve cependant un Dead plus classique, le Dead de Captains Of Industry bien que le début de Grizzly n'écornerait pas un bœuf. Une fois la longue intro passée, Dead reprend le cours d'une lourdeur appropriée avec un refrain que Godheadsilo n'aurait pas renié. Don't Pray for Us enchaîne, on se dit que Dead est bien partie pour nous mettre la pâté et effectivement, ce titre assure tout en prenant des chemins détournés, incluant des effets de styles et des bizarreries qui donnent du piment à ce groupe qui est loin d'être un ersatz des Melvins. Et avec les trois titres suivants, on se dit que finalement, Dead est plus proche dans l'esprit de Idiots, son deuxième album qui comportait son lot de compos tordues, expérimentales et plus fines qu'elles ne paraissaient. Cependant, The Kid Was All Wrong (vol. I, II & III) n'a rien d'extravagant. Il faut attendre de retourner la galette et se taper les deux longs Turning Screws et Line 'Em All Up pour à nouveau frémir dans les foyers. Non pas à cause d'une véhémence de mammouths mais par le développement d'une atmosphère anxiogène. Merci aux claviers, à son art de balancer des sonorités vicieuses (le final de Turning Screws est assez tripant) et à Dead pour son art consommé de la feinte, jouer sur une lenteur tout en tension, développer un climat presque mélodique, nous faire croire que ça va exploser d'un moment à l'autre et nous maintenir sans arrêt sur le qui-vive, ce qui est au final aussi épuisant. Il est clair qu'avec ce projet et cette collaborations avec BJ Morriszonkle, Dead s'essaye à d'autres humeurs. Si elles ne prennent pas feu immédiatement, sur la longueur, elles marquent des points.
Sur la tranche du disque, il est indiqué Can I have a shirt for $10 ? I came from Sydney, I didn't know you had to pay. You capitalist pig. If you give me a record I'll play it at home.







Le troisième volume se nomme We Won't Let You Sleep. Cette fois-ci, retour aux fondamentaux, le couple basse-batterie d'origine et basta. Ah non, perdu. Kevin Rutmanis, bassiste lui aussi des Melvins entre 1998 et 2005 mais surtout des Cows, intervient à la basse slide trois cordes et sur trois titres ainsi que Toshi Kasai (guitare, claviers et chant) sur cinq morceaux, producteur de tout un tas de groupes dont... Melvins. On ne s'en sort pas.
Cependant, des cinq disques de cette trilogie, We Won't Let You Sleep est certainement le disque le plus direct et le plus proche de l'idée première qu'on se fait du duo de Melbourne, à savoir une équation pas très carrée entre Melvins, Godheadsilo et Karp. Dead avance donc en rang serré, la chair au bout du canon, avec de belles charges aussi dynamiques qu'écrasantes (Fingers As Arrows, Chartreuse Blew et Picking Teeth soutenu par un synthé aux accents héroïques). Ça n'empêche pas Dead de placer quelques amuse-gueules comme les courts instrumentaux anecdotiques Frankly et Frank Lee alors que To Hell With Me lorgne également vers le décalé mais avec largement plus de conviction et de hargne. Dans le rayon lent, lourd et poisseux comme vous savez qui, Where's My Gold Star se pose là. Il reste à caser les deux titres les plus copieux mais pas trop, Don't Skimp On The Change et Pylons. L'ombre des Melvins plane toujours, surtout avec l'ajout de la guitare et de quelques bidouilles sonores. Cependant, Dead possède maîtrise, filouterie et assez de recul pour en proposer une relecture qui contentera tous les fans des Melvins vu que King Buzzo et Dale Crover sont partis à la pêche depuis belles lurettes. Place aux jeunes (mais pas trop).
Sur la tranche du disque, il est indiqué The pay is $100, you need to provide your own mixing engineer and provide backline for the headline act. No door spots. Good exposure.







Le quatrième volume répond au doux nom de Unpopularity Contest et c'est un split avec Wicked City, autre groupe australien. Réglons rapidement leur cas vu que leur hard-rock (qui ne plaira pas aux hard-rockeux de souche) est mort depuis longtemps et que ce n'est pas gentil de tirer sur un cadavre. Surtout quand c'était déjà pourri de son vivant.
Dead, encore une fois, s'acoquine avec une autre entité, à savoir EMS qui signifie Eat My Shit. Ça s'annonce tendre et passionné. Un type de Portland qui aime bidouiller sur des trucs avec plein de fils et des machines. La rencontre avec la basse et la batterie de Dead donne deux titres, Frog Dreaming et The Shortest Leash. Pour Frog Dreaming, tout est dans le titre. EMS a pris les commandes et l'impression d'être dans la tête d'une grenouille qui rêve est totalement juste. Sauf que c'est un cauchemar globuleux et j'ai envie de vomir. Heureusement, ça ne dure que deux minutes. Mais EMS remet ça sur The Shortest Leash et comme ça dure plus de treize minutes, il va falloir prévoir un sac plus grand. Mais au bout d'un bon paquet de minutes, Dead revient dans le paysage. Le pire est passé. Mais le meilleur attendra aussi. L'apport de la basse qui cogne puis de la batterie qui plombe et enfin le chant des cavernes permet de solidifier les nappes bruitistes s'étalant partout et surtout nulle part à la fois. Mais on a connu Dead moins facile.
Sur la tranche du disque, il est indiqué Our drummer has to work so we're gonna have to bail on the show. Whose bass rig am I using ? Our singer is stuck in traffic, we'll have to play later.







Le dernier disque, si vous n'avez toujours pas démissionné, est donc le bonus LP sous-titré "because you deserve it". J'aime être considéré à ma juste valeur. Par contre, ce disque n'est gravé que d'un seul coté. La considération a ses limites. Deux titres, Rabbits, qui se trouvait sur la compilation Fiends In Low Places du label Eolian Empire et Hog Dance, un inédit. C’est retour aux racines. Plus de bidouilles, plus de claviers, plus de conneries. Dead lamine, charcute, éructe, sort la basse de ses gonds, t'enfonce plus bas que les Melvins, frappe comme une mule. Un quart d'heure à l'ancienne. C'est pas fin mais ça fait un bien fou.
Sur la tranche du disque, il est indiqué Yeah the tour didn't do so well so I can't really pay you. Oh you wanna sell merch too ? So you'll have to do a shorter set.

SKX (25/04/2017)