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Bagarre Générale
Tohu-Bohu – LP
Music Fear Satan records 2017

Si le nom du groupe et de l'album inspire un gros bordel inqualifiable et des châtaignes en rafale, la réalité est toute autre. La bagarre est ordonnée, majestueuse, solennelle, pas de coups en traître, pas d'attaques éclairs ou de guérilla urbaine. Ça se fait à la manière des guerres d'un autre siècle quand les armées se rencontraient en batailles rangées, organisées que par convenance mutuelle. Ce qui n'empêche nullement de s'en prendre plein la tronche.

Bagarre Générale, une bande étrangement armée dont le trait principal de singularité est l'utilisation de deux trombones. L'instrument de musique hein, pas le truc qui sert à attacher des feuilles de papier, ça fait beaucoup moins de bruit. Vous rajoutez guitare, basse, batterie et claviers et vous êtes sûrs de dénoter dans le paysage. Un orchestre du troisième type devant autant à la musique de film qu'à un groupe de metal progressif ou du post-rock instrumental et de la musique symphonique. Dis comme ça, c'est un peu ragoûtant, je vous comprends. Tout le talent de Bagarre Générale est d'avoir su garder le meilleur et jeter le pire, en extraire sa propre partition, une nouvelle voie qui navigue entre plusieurs bornes sans en toucher une précisément et la rendre attrayante alors que ce n'était pas gagné d'avance.
On retrouve la lourdeur des rythmes du metal, l'emphase, les très longues compositions (seulement trois titres pour plus de trente-trois minutes), les structures à tiroir. Mais aussi des ambiances cinématographiques où il ne manque plus que les images, où on s'attend à voir débarquer à chaque instant des monstres sanguinaires, des créatures chimériques ou des gladiateurs entrant dans l'arène surchauffée, des scènes martiales coupées par des passages apaisants, mélancoliques, sombres. Des débuts, des fins, des développements et des rebondissements comme dans un film à l'instar des quatorze minutes de L'Usage Des Mondes qui occupe toute la face A, du suspens et la possibilité d'aller faire un tour aux toilettes une ou deux fois parce que Tohu-Bohu ne s'épargne pas quelques menues longueurs. La puissance de la section rythmique vient contrer la grandiloquence qui pointe sous les nappes de claviers ou les cuivres rutilants, cuivres qui amènent en même temps un souffle épique et une coloration originale dans ce genre de maelstrom sonore.

Bagarre Générale est sous contrôle, insuffle une sourde tension continuelle, un grondement souterrain, tente d'écraser l'ennemi (la fin du mal nommé Promenade et ses gros riffs de déménageurs) puis le laisse respirer dans un ultime geste de clémence, cogne et soigne les plaies, opte pour l'encerclement sur un Vertigo où les sons semblent débarquer de partout, vous assaillir comme une volée de flèches d'acier sans se sentir en danger pour autant. Bagarre Générale aurait pu se vautrer, se fourvoyer mais conserve une énergie rock, un fil rouge électrique et intense pour rester dans la mire. Tohu-Bohu, odyssée sonore ambitieuse et étonnante faite de courants musicaux contradictoires et d'émotions multiples, un mélange heureux pour une expérience inédite à vivre.

SKX (11/10/2017)