202project

202project
Les Cendres Et Le Vent – CD
202prod. 2016

Encore une fois j’ai largement attendu avant de me décider à enfin chroniquer ce disque de 202project. On ne se refait pas : j’avais beaucoup trop d’autres trucs pas intéressants du tout à faire, et puis prendre son temps c’est très bien aussi, encore une fois il n’y a pas que la musique dans la vie. Mais cela ne signifie aucunement que je n’ai pas beaucoup écouté Les Cendres Et Le Vent jusqu’ici. Bien au contraire. Je pense même que j’ai du me l’enquiller tous les jours ou presque depuis qu’il a atterri dans ma boite-aux-lettres puis que, de façon aussi instantanée que surnaturelle, il a fait un bon de géant jusqu’à ma platine. Et à chaque fois que je l’ai écouté je me suis vaguement demandé : mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter là-dessus ? Rien de bien nouveau, sûrement. Et je passais à autre chose… Autre chose c’est-à-dire l’appropriation semi-consciente mais inévitable et sans condition d’un disque qui m’a d’emblée donné le sentiment de m’appartenir. C’est comme ça. Les Cendres Et Le Vent est un disque compagnon parce qu’il se suffit à lui-même et qu’en même temps il déborde et transforme tout ce à quoi il touche. Et après avoir dit une telle chose, j’ai bien peur, donc, qu’il n’y ait plus rien d’autre à dire.

Pourtant je le sentais venir. Cela faisait quelques mois déjà que JP Marsal/202project jouait en concert les compositions de son futur disque. Je crois même qu’il ne jouait plus qu’elles, convaincu qu’il était en train de passer à quelque chose d’autre, quelque chose d’important et d’essentiel pour lui et qui, sans totalement bouleverser la musique de 202project, la faisait passer à un tout autre niveau, non seulement différent mais surtout supérieur. D’ailleurs je me rappelle très bien du bonhomme lorsqu’il a osé clamer à la sortie des Cendres Et Le Vent – sans arrogance aucune et sûr de son fait – qu’il s’agissait de sa création la plus aboutie et la plus personnelle à ce jour. Effectivement. Et même bien plus que ça. Découvrir et apprendre à aimer des chansons (le terme est important) en concert est une chose. Se les prendre dans la gueule et dans le cœur à chaque nouvelle écoute du disque en est une autre.

Mais il est peut-être temps de faire un peu d’analyse, ou au moins de faire semblant. Il y a deux choses très marquantes avec Les Cendres Et Le Vent. La première c’est cette apparente montée en puissance (le mot est très mal choisi mais je n’en trouve pas d’autre…) des sons synthétiques. Les enluminures synthétiques tout comme les constructions rythmiques des machines sont ce que l’on retient d’abord, non seulement parce qu’elles sont imparables mais surtout parce qu’elles posent les balises simples et efficaces d’un chemin qui mène toujours quelque part (Frapper Le Premier, Ça Sent Le Roussi, Sauvagerie, Les Haut-Parleurs, en fait je pourrais presque citer tous les titres du disque). Et ça, c’est plus qu’important : les douze compositions (treize pour le CD) des Cendres Et Le Vent sont pour la plupart courtes mais elles disent l’essentiel en trois minutes. Et quand j’écris essentiel je veux dire qu’elles sont terriblement touchantes. Toutes, sans aucune exception. Quant à la guitare elle est toujours là mais elle tend à se fondre toujours plus dans la masse sonore de 202project, sorte de brouhaha en forme de nappes d’où émerge un hybride captivant de blues (y compris au sens de spleen) glacial et synthétique et de post punk intériorisé. Quand une partie de guitare semble prendre les devants, elle finit par être rattrapée et confondue dans ces ambiances si particulières et si personnelles. On modifierait – à la hausse comme à la baisse – le niveau des guitares dans le mix des Cendres Et Le Vent et il est évident que le disque ne fonctionnerait pas de la même façon. Voire même qu’il ne fonctionnerait pas du tout.

L’autre chose importante sur Les Cendres Et Le Vent ce sont les textes et le chant. Là aussi je me rappelle très bien de ce grand escogriffe de JP lorsqu’il m’a dit un jour, encore avant un concert : maintenant je chante principalement en français et toi tu vas détester ça. Il a parfaitement raison : je déteste le chant en français. Du moins je le déteste lorsque je ne comprends que trop bien la stupidité et/ou la niaiserie des paroles, sans parler de cette indécrottable manie de faire de la pseudo poésie qui n’est la plupart du temps qu’une accumulation de poncifs et de clichés larmoyants. Sans oublier qu’à mon sens les sonorités et associations de sonorités de la langue française ne conviennent que fort peu aux musiques électriques. Sur Les Cendres Et Le Vent JP Marsal/202project réussit au moins deux exploits. Ses textes sont vraiment très loin de donner envie de se tordre de rire. On les écoute – je regrette qu’ils n’aient pas été imprimés dans la version CD, j’espère qu’ils le seront pour le vinyle –, on en saisit le sens, souvent poignant pour ne pas dire émouvant et on les aime. Et, en même temps on s’émerveille (le mot n’est pas trop fort) des jeux de correspondances entre les rimes, entre les sons. Ici il y a un vrai travail de construction du chant, autrement dit le chant est à la fois un instrument qui s’ajuste parfaitement à tous les autres (ce qui est extrêmement rare avec la langue française) et un vecteur intelligemment sensible de signification(s). Quant à la diction de JP Marsal, il est pour moi évident que notre homme écoute bien plus de rap et de hip-hop que la moyenne des vieux rockers du coin et qu’il a donc également parfaitement saisi comme rythmer et faire respirer un couplet et un refrain.

Voilà. Je n’avais donc vraiment rien à dire. A part ceci, peut-être : avec Les Cendres Et Le Vent écouter de la musique reste quelque chose d’essentiel et de vital. Et des disques tels que celui-ci on n’en découvre pas tous les jours.

Hazam (11/06/2016)