toc
besides
tandori






TOC
Haircut – LP
Besides/Circum Disc/Do It Youssef/Tandori 2015

Plus de deux mois passés sans écrire un seul mot sur de la musique, sans imaginer une seule chronique de disque, c’est vraiment très long. Mais il y a pire : ne plus écouter de musique(s) du tout, ou alors si peu. Ou alors si mal. Alors, pour recommencer à remettre des mots dans un ordre plutôt que dans un autre, pour choisir ce que je vais dire ou au contraire ce que je vais taire, pour étaler ma subjectivité et mon enthousiasme sans remord ni honte, bref comme pour conjurer le sort et prendre le taureau par les cornes – ce ne sont pas les expressions à la con qui manquent pour décrire ce manque et cette difficulté là – j’ai choisi un disque (prétendument) difficile d’accès et qui, surtout, tente de développer son propre cheminement à partir de langages croisés, convergents et connus pour aboutir à un objet sonore, une musique d’abord, un disque ensuite, de tout premier choix.

Oui, malgré cette introduction un peu lourdingue je ne saurais bouder mon plaisir pour affirmer que Haircut, troisième album de TOC, est un petit bijou de free rock / kraut machin / musique expérimentale / musique improvisée. Tout cela a l’air bien sérieux et l’est très certainement mais ce trio de Lille, avec sa formation atypique pour tout vieux noiseux qui se chie dessus (à savoir Fender Rhodes, guitare et batterie), bref le trio possède cette faculté et qualité majeure à mes yeux et mes oreilles de ne pas se prendre les pieds dans des intentions trop évidentes et, donc, trop convenues. C’est qu’en matière de musiques improvisées (pour faire vite) il y va comme dans toutes les autres musiques ou presque : l’inventivité permanente ne se trouve plus vraiment dans le renouvellement du genre et son évolution vers quelque chose de différent mais bien dans l’acceptation libérée de ce qui a déjà été fait et que l’on ne peut que refaire, différemment mais pas tant que ça, avec un regard neuf, des idées rafraichissantes ou, pourquoi pas, une candeur et une ingénuité qui donnent au résultat ce côté fulgurant qui fait oublier qu’il y a des ancêtres à tout ça, qu’il y a une « histoire » de la musique, tous ces trucs avec lesquels en général on nous bassine pour nous expliquer pourquoi, en 2015, tel disque ou tel autre existe. Aux chiottes l’exégèse. A mort les entomologistes et les généalogistes.

Non, pas la peine de faire toutes ces acrobaties mentales et toutes ces simagrées esthético-idéologiques pour apprécier TOC et Haircut. Evidemment le trio me semble être composé de vieux briscards particulièrement rompu à l’exercice, des mecs qui jouent hyper bien, avec plein de doigts et une sacrée maitrise instrumentale, des mecs qui savent ce qu’ils veulent, semblent se connaitre parfaitement entre eux (etc.) or TOC nous fait rapidement oublier tout ça. Tout comme le groupe nous fait rapidement oublier, donc, qu’il n’est pas la première association de musiciens malfaiteurs à pratiquer la tartine de confiture aux choux. Et ça, cela n’a pas de prix. Arriver à jouer une musique aussi exigeante mais également aussi libre et arriver à tenir la distance avec deux longs morceaux passionnants et fourmillants, des compositions instantanées qui dépassent allègrement les vingt minutes, ce n’est peut-être pas donné à tout le monde mais, surtout, cela tient du miracle. Je pourrai en rajouter une bonne couche supplémentaire en précisant que le garçon qui joue du Fender Rhodes fait vraiment des choses étonnantes – mais cet instrument est de toute façon étonnant, il a juste été trop caricaturé et circonscrit par les jazzeux prétendument électriques et amateurs de massages de rondelle –, que le guitariste, sans être un pervers du bruit, a un son qui tranche et des idées qui dépotent et, enfin, que le batteur est une brute qui sait se tenir.

Mais le plus important, c’est que TOC écarte d’emblée toute tentative de faire du prog rock. Sur Haircut pas de démonstrations ultra techniques pour le simple plaisir de faire un concours de zizis progressifs, pas de rabâchages alambiqués, pas de gros plats de nouilles trop cuites et trop collantes napées de faux gruyère chimique. Non, ici ça coule de source, la musique de TOC se développe, prend son envol, prend de l’ampleur et garde cette tension et cette énergie qui me donnent envie d’aller toujours plus loin avec elle. Oui, comme un groupe de rock, un groupe qui sait ce que signifie le mot électricité. Merci.

Hazam (31/05/2015)