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subrosa



Oiseaux-Tempête
Ütopiya ? - 2xLPs
Sub Rosa 2015


Que voilà un disque dont il m’est difficile de parler sereinement. Le sujet a déjà été vaguement évoqué lors d’une récente chronique concernant le dernier 7'' en date du Réveil Des Tropiques et c’est vrai que je ne sais toujours pas par quel bout prendre ce très long double album, le deuxième de Oiseaux-Tempête (troisième si on compte l’album de remix paru entre les deux), un disque plus cinématographique que jamais. Parce que Oiseaux-Tempête donne dans le post-rock, cette musique instrumentale sortie d’où on ne sait trop où il y a de nombreuses années déjà – trouvez-moi donc un quelconque rapport entre Tortoise et Mogwai, deux groupes pourtant estampillés « post rock » par les exégètes, haha –, un « genre » qui n’a pas eu beaucoup à se forcer pour rapidement se caricaturer lui-même et sombrer dans presque tous les travers de la musique liturgique low cost (en 2015, les concerts de Godspeed You! Black Emperor ressemblaient plus que jamais à une grande messe pour révolutionnaires de salon).

Ütopiya ? prend ainsi la forme d’un carnet de voyage en Méditerranée et notamment en Turquie mais se veut également un disque militant sous forme de constat un peu amer et triste. Bien. Je n’ai rien à redire à cela. Et je suis même content de pouvoir entendre le toujours très actif GW Sok et son inimitable diction faire une apparition sur Ütopiya/On Living même si je trouve qu’il ne s’est pas trop foulé non plus. Pour le reste, côté musique donc, Ütopiya ? reste dans des sphères très contemplatives, lentes et brumeuses et ne s’octroie que beaucoup trop rarement le droit à l’explosion sonique qui sortirait l’auditeur d’une torpeur trop confortable. Et c’est le gros problème du disque : on ne résiste pas longtemps à la lassitude de compositions trop souvent forgées sur le même modèle et surtout évoluant à la vitesse d’un membre du parti socialiste français en plein questionnement idéologique. Je ne nie absolument pas qu’il y ait de beaux moments sur ce disque, il y a même des compositions qui arrivent à se détacher nettement du lot (Requiem For Tony en est une, Someone Must Shout That We Will Build The Pyramids en est une autre) mais elles sont comme autant d’oasis au milieu d’un océan d’ennui velouté.

Oiseaux-Tempête a cependant tenté d’étoffer et de faire évoluer quelque peu sa musique avec l’apparition depuis le premier album d’un quatrième membre s’occupant d’incorporer une clarinette basse à l’ensemble. Mais malheureusement, et malgré tout l’amour que je porte à ce merveilleux instrument capable de faire naitre une sombre mélancolie ou au contraire de terribles déchirements free-jazz, son adjonction ici ne me donne que l’impression d’avoir affaire à l'imitation de la platitude des productions ECM des années 90 et 2000. Un décorum un peu neutre et aseptisé. En fait, et sans aucune ironie de ma part, l’un des titres que je préfère sur Ütopiya ? est celui que l’on ne peut écouter qu’en utilisant le coupon de téléchargement joint avec le disque : Palimdrome Series a été enregistré en concert et dévoile plus efficacement, en quelques vingt minutes, toute la tension dont Oiseaux-Tempête peut être capable. Loin d’être entièrement décourageant, Ütopiya ? est finalement un disque qui ne s’écoute que par tranches (face par face et surtout pas d’affilée, il faut bien respecter la posologie) au risque sinon d’avoir le sentiment qu’il passe à côté de quelque chose. Dommage.

Hazam (28/12/2015)