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Membranes
Dark Matter/Dark Energy – 2xLPs
Cherry Red 2015

Vingt-six années se sont écoulées depuis le dernier album des Membranes. To Slay The Rock Pig était son nom. Tuons la bête immonde. C'était le siècle dernier, Thatcher menait l'Angleterre d'une main de fer, John Peel n'avait pas trépassé, les Membranes avaient réalisé six albums, une multitude de maxis et singles et John Robb, fondateur du groupe à la fin des années 70 et unique membre d'origine avait décidé de mettre fin à l'histoire des Membranes qui avait embrassé toutes les années 80 à défaut de les avoir embrasées.
Un groupe culte né dans le nord de l'Angleterre, à Blackpool, dont l'écho de leur musique a eu du mal à franchir la Manche. Un succès relatif mais une influence certaine, autant pour sa musique entre post-punk noisy et noise-rock barré (Albini enregistrera le 5ème album Kiss Ass... Godhead) que par l'attitude sans concession de John Robb. Son aura ne cessera de grandir après les Membranes de par ses nombreux écrits dans le Melody Maker, Sounds, Sunday Times et de très nombreux autres journaux, son propre webzine Louder Than War, la publication de livres dont Punk Rock: An Oral History et Death to Trad Rock, des participations à des émissions et documentaires télés, la production de disques et le management de groupes, bref, une crête connue et reconnue dans le paysage musical anglais et qui n'a rien perdu de sa vigueur.
Car après tout cet énorme silence, Membranes signe le meilleur album de sa riche discographie. Ni plus ni moins. Matière noire et énergie de la même couleur, les lois de l'univers sont impénétrables comme sont inexplicables les destinées musicales. De son insatiable curiosité pour comprendre le monde qui l'entoure, John Robb et sa bande ont résumé en un album et plus d'une heure toute l'histoire du punk-rock anglais. Du grand big-band originel ouvrant l'album (The Universe Explodes Into A Billion Photons Of Pure White Light) au dernier titre (The Hum Of The Universe) avec un sample du père de John Robb mort pendant l'enregistrement de l'album, Membranes revisite tous les styles dans un élan aussi généreux que visionnaire. Bouillonnant et unitaire. Comme s'ils avaient réussi à englober tous les courants musicaux rencontrés pendant leur longue histoire, tout compris enfin et pris leur envol au-dessus de la mêlée.
Du post-punk avec le rôle centrale de la basse dans la conception des morceaux aux accents plus chaotiques et rageurs façon Birthday Party, du krautrock possédé qui met en transe au psychédélisme qui embrouille les perceptions (Magic Eye To See The Sky), de l'indie-rock plus mélodique au dub suintant sur plusieurs compos dont un grand In The Graveyard qui fait que tu ne sais plus où tu habites, Dark Matter/Dark Energy est un album extrêmement varié, riche d'idées, enchaînant les étapes comme une longue histoire tumultueuse et cohérente car les personnages ont beau évoluer, vieillir, se prendre des coups, ils savent désormais avec conviction où ils veulent aller.
Excepté un morceau ou deux qui font baisser la tension comme un plus dispensable 5776 (The Breathing Song) et sa voix vocodée, Dark Matter/Dark Energy regorge d'explosions (Do The Supernova, sorti en single un an plus tôt), de titres aliénants (Money Is Dust), d'atmosphères troublantes et planantes pour un album pensé et crée comme un tout, avec son fil conducteur, ses pics, ses respirations, ses enchaînements digne d'un scénario de film de la part de vieux briscards qui l'ont fait à l'ancienne pour mieux toiser les plus jeunes. Matière noire mais sacrément éclairée de l'intérieur. Nous ne sommes qu'une toute petite misérable poussière dans l'infini et Dark Matter/Dark Energy, une très belle fine particule qui fait tourner le monde un peu plus rond.

SKX (10/10/2015)