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Lunatic Toys
Ka Nis Za – CD
Signatures/Radio France 2015

Si on m’avait dit qu’un jour j’allais chroniquer pour Perte & Fracas un disque estampillé « Radio France », je crois que j’aurais éclaté de rire*. Bon, honnêtement, j’ai en fait bien du rigoler lorsque les trois musiciens de Lunatic Toys m’ont annoncé qu’ils allaient enregistrer quelque chose pour le label Signatures (c’était il y a plus de deux ans maintenant). Cette réaction plutôt inattendue chez le vieux ronchon taciturne que je suis n’était pourtant pas vraiment de la moquerie de ma part mais plutôt de la surprise et, surtout, j’étais très content pour eux : après avoir publié deux excellents albums via le Grolektif puis sur Carton records, les Lunatic Toys allaient pouvoir bénéficier d’encore plus de visibilité. Parce que se retrouver sur Signatures, être remarqué par un label installé – pour ne pas dire institutionnalisé – et son directeur artistique (oui, il parait que cela existe encore), c’est déjà une reconnaissance en soi. Et l’assurance de voir de nouvelles portes s’ouvrir. Un instant j’ai bien sûr eu un peu peur que les Lunatic Toys y laissent quelques plumes, qu’ils ne soient pas totalement libres de faire ce qu’ils voulaient au départ… mais la découverte de Ka Nis Za m’a pleinement rassuré à ce sujet là et les trois Lunatic Toys ont eu raison de s’accrocher, tout comme Signatures a eu on ne peut plus raison de signer ce groupe toujours aussi merveilleux.

Les premières écoutes de Ka Nis Za ont été plus que revigorantes : la musique des Lunatic Toys n’avait donc rien perdu de sa magie. Mieux : je découvrais alors chez le trio une urgence dont il n’avait jusqu’ici pas réellement fait preuve, du moins pas à ce niveau là. Et un vent de liberté, aussi. Lunatic Toys n’est pourtant toujours pas un groupe de free jazz (au sens 60’s et 70’s du terme) mais, oui, c’est bien un sentiment de liberté vivifiante et étourdissante qui souffle sur un album d’apparence plus directe et plus dynamique – avec Jean Joly derrière la batterie cela peut aisément se comprendre – et une musique, donc, plus que jamais affranchie des codes musicaux malheureusement trop souvent inhérents aux musiques jazz. L’énergie est là et bien là et surtout l’énergie déployée ici est d’une beauté saisissante. Mais cette énergie renouvelée et cette liberté éclatante s’expliquent-elles parce que Ka Nis Za a été composé sur un laps de temps relativement court ? Sans doute… Mais on sent surtout chez les Lunatic Toys un réel plaisir à rentrer dans le vif du sujet, faisant fi des contraintes éventuelles, pour nous dévoiler une musique plus que jamais bondissante, facétieuse mais également (et surtout) éternellement poétique et imagée. Que la musique des Lunatic Toys soit plus épurée – voire minimale – sur Ka Nis Za ni change rien : ses effets sont toujours aussi enchanteurs et enivrants.

Des titres tels que Pavlov I, North, et le tonitruant New dévoilent un pouvoir électrique qui fait plaisir à entendre tandis qu’en fin de disque apparaissent des titres plus retenus (Lab qui constitue une magnifique balade ou le très nocturne Talt) et avec eux une mélancolie douce et tendre. Mais rien ici n’est aussi simple et, pour autant qu’elle apparaisse plus minimale, la musique des Lunatic Toys reste également toujours aussi sophistiquée et brouille les pistes. A cet égard Pavlov II serpente délicatement, Gris est une curieuse (mais réussie) entité bicéphale, Vesva dégage un lyrisme où le saxophoniste alto Clément Edouard développe ce son d’alto toujours aussi magnifique, le très troublant Buzenval déroule un lent suspens et Bic permet à la claviériste Alice Perret de dévoiler des merveilles – d’une manière générale ses patterns au synthétiseur éclairent tout l’album d’une lumière aussi cruciale que motrice et il n’est pas exagéré d’affirmer que des trois musiciens de Lunatic Toys c’est elle qui a sans doute le plus progressé. Ka Nis Za apparait donc comme une réussite flagrante, d’autant plus que ce troisième album est loin de réitérer systématiquement les schémas de ces deux prédécesseurs et ouvre de nouvelle perspectives. L’aventure dans la musique, c’est ça.

Hazam (24/11/2015)

* et pourtant !