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Thurston Moore
The Best Day – 2xLPs
Matador 2014

En 2011, l’annonce de la séparation du couple Kim Gordon/Thurston Moore et de la fin de Sonic Youth avait tout du non-évènement : le groupe était mort depuis longtemps, s’était, de même que sa musique, étiolé en vieillissant, s’était égaré dans des impasses stylistiques et même l’auto-parodie ne pouvait plus le dédouaner de toutes ses erreurs. Bien sûr il y a eu après 1995 quelques albums de Sonic Youth meilleurs que les autres mais, rétrospectivement, l’album The Eternal en 2009 ressemble à un vrai coup de poignard, un véritable gâchis (son prédécesseur de 2006, Rather Ripped, lui est bien supérieur et aurait constitué une honorable porte de sortie) ; je me rappelle encore de l’angélisme d’un Moore et d’une Gordon déclarant alors à la presse des imbécilités du style pour la première fois dans Sonic Youth on a chanté ensemble tous les deux, cette façon d’harmoniser comme chez les groupes des 60’s que l’on aime tant c’est vraiment quelque chose de nouveau pour nous – autant dire que ce genre de phrases résonnent encore à mes oreilles comme celles d’un vieux couple qui fait un autre gosse pour sauver les meubles, les apparences, se mentir à lui-même et à tout le monde.

Les albums solo (et non expérimentaux) de Thurston Moore ne m’ont jamais réellement convaincu. Y compris le premier d’entre eux, Psychic Hearts, qui à la longue, près de vingt années, a quand même fini par révéler quelques beaux secrets. Les secrets, c’est toujours ce que j’ai préféré chez Sonic Youth, l’invisibilité aussi, surtout lorsque le groupe partait dans ses désormais fameuses vrilles sonores : derrière le pseudo fracas il y avait toujours quelque chose de fragilement palpable mais aussi d’inaccessible – l’invisibilité, donc, et la rêverie ou la défonce que l’on met dedans parce qu’il est facile de s’y projeter sans se préoccuper des intentions supposées du groupe, lesquelles, après éventuelles explications des intéressés, se sont trop souvent révélées décevantes et vaseuses. Sonic Youth est le parfait groupe arty et à fantasmes, sauf qu’à la différence de quelques autres, son parcours ne s’est pas terminé dramatiquement ou prématurément mais que le groupe a contre vents et marées réussi à durer, à essaimer, devenant une terne usine à exemplarité et un malencontreux objet de culte.

The Best Day est parait-il le cinquième album solo de Thurston Moore. Il s’agit surtout de l’album qui entérine définitivement la mort nécessaire et suffisante de Sonic Youth. Et rien d’autre. Sonic Youth était un groupe de poètes et The Best Day est enfin un album de poésie. Ce qui m’a attiré d’emblée, m’a incité à écouter cet album (parce que au départ je n’y croyais absolument pas) ce sont les photos qui ornent sa pochette. Regardez bien : on dirait des vieilles photos des propres parents de Moore – je n’ai pas cherché à vérifier si c’était vrai ou non mais peut-être ont-elles simplement été choisies parce qu’elles pouvaient ressembler aux parents du guitariste/chanteur ou à lui-même. Encore une drôle de chose mise en avant mais qui garde sa part de secret. Et puis il y a cette belle lumière un peu passée et ces contrastes effleurés ; oui il s’agit de photographies argentiques, qui montrent des moments de bonheur simples mais désormais lointains, la nostalgie est prépondérante ici.

La simplicité est ce qui marque en premier lieu sur The Best Day. Une simplicité apparente parce qu’on a bientôt fait de découvrir, derrière ces guitares-reines, des entrelacs majestueux et nobles, des déambulations pas vraiment soniques (il y a beaucoup de sons clairs et cristallins) mais alambiquées et en même temps si simplement lumineuses, remplies d’espaces, si aventureuses mais si évidentes. The Best Day possède cette force, poétique encore une fois, d’être instantanément intelligible et émouvant, puis de nous laisser pantois, en plein désarrois mais aussi comblés, admiratifs et rêveurs, séduits et insatiables, amoureux et mélancoliques. Enregistré par ce qui est ensuite devenu un vrai groupe – Steve Shelley à la batterie, Deb Googe de My Bloody Valentine à la basse et le parfait inconnu James Sedwards à la deuxième guitare – The Best Day enthousiasme mais inquiète aussi, finalement : on le préférerait en baroud d’honneur, celui d’un adolescent attardé et vieux musicien qui a réussi une dernière fois à se réinventer pour clore élégamment les aventures de la jeunesse sonique (dont il se révèle, sans grande surprise, être l’héritier le mieux placé) ; mais on sait également que The Best Day est pour Thurston Moore le point de départ et la concrétisation d’une vie nouvelle (il s’est expatrié à Londres, a refait sa vie mais aime toujours sa maman) et d’envies musicales et artistiques renouvelées. Mais qu’importe… libre à chacun de mettre un terme à cette histoire d’amour avec The Best Day ou avec l’un de ses éventuels successeurs, tout comme d’autres avaient empaillé Sonic Youth après l’album Daydream Nation… (ou Experimental Jet Set Trash And No Stars ? Washing Machine ? Sonic Nurse ?). A nos amours et à chacun son errance : my mother used to say/you’re the boy that can enjoy invisibility/I’m the boy that can enjoy invisibility/close your eyes/make a wish.

Hazam (29/12/2014)