noxagt
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Noxagt
Brutage – LP
Drid Machine records 2014

Le grand retour du mammouth norvégien. Et s’il y a un groupe que je ne m’attendais pas à voir réapparaitre de sitôt dans le paysage des musiques qui font mal c’est bien Noxagt. Mais il faut croire que le groupe emmené par le noyau dur Kjetil D. Brandsdal (basse) et Jan Christian Lauritzen Kyvik (batterie) tient autant du pachyderme sous amphètes que de la vieille carne increvable. L’histoire semble donc vouloir se répéter mais pas vraiment non plus. Alors reprenons-la depuis le début. Les deux premiers albums de Noxagt ont été enregistrés alors que le line-up du groupe comprenait le violoniste Nils Erga ; le troisième l’a été en compagnie de la guitare d’Anders Hana, marquant une rupture certaine. Mais, dans les deux cas, on constatait finalement une seule et même chose, assez troublante il est vrai mais définissant le son – et l’identité si particulière – de Noxagt : d’un côté on avait une section rythmique tellement fusionnelle que l’on pouvait l’assimiler à un seul et unique instrument certes bicéphale mais en tous points monstrueux et de l’autre il y avait une seconde source sonore luttant en permanence contre l’hydre rythmique basse/batterie. Que ce soit le violon alto d’Erga (ultra saturé la plupart du temps) que la guitare baryton d’Hana, le troisième musicien de Noxagt devait alors tout faire pour se faire entendre. Techniquement parlant, Anders Hana y est mieux parvenu que Nils Erga parce qu’une guitare peut davantage s’imposer contre une rythmique aussi totalitaire soit-elle mais ce que Noxagt avait alors gagné en efficacité avec l’arrivée de cet ange blond, le groupe l’avait perdu en originalité et en étrangeté. D’un point de vue purement « esthétique » c’est donc Nils Erga qui remportait la palme, parce que beaucoup plus dérangeant.
Noxagt n’a ensuite plus donné signe de vie pendant huit années. Jusqu’à l’annonce de la parution en 2014 du quatrième album du groupe, appelé Brutage. Savourez au passage l’excellence d’un néologisme à consonance francophone (?) et qui définit parfaitement tout ce qui a fait et fait encore la spécificité de Noxagt : brutage = bruit + brutal, le tout avec l’affirmation d’une action caractéristique et délibérée (de bruitage à Brutage il n’y a qu’un pas que je franchis allègrement). La question qui se posait alors était de savoir qui allait être le nouveau troisième larron de Noxagt, celui qui allait affronter les deux autres. La réponse est des plus réjouissantes puisqu’il ne s’agit de personne d’autre que de John Hegre, musicien norvégien aux multiples projets mais surtout connu pour faire partie du génialement infâme et bruitiste Jazkamer, aux côtés de Lasse Marhaug. Et à l’écoute de Brutage on ne peut que se dire que ce choix est parfait tant la guitare de Hegre semble idéalement s’intégrer dans le schéma de lutte/opposition/survie/domination décrit ci-dessus. Mais il y a plus : à la différence d’un Anders Hana qui joue principalement et à la fois sur les registres de l’hystérie et de la dextérité, John Hegre est un sculpteur de son et idéaliste du bruit. Un type qui taille les notes qu’il joue et les sons qu’il utilise en fracassant puis refondant sa matière première. Ce qu’il réussit sur Brutage est différent de l’optique de contraste de Nils Erga et d’Anders Hana qui infiltraient par défaut leurs tourneries ou riffs stridents dans le peu d’angles morts laissés vacants par la rythmique.
En plus d’une courte introduction en trompe l’œil, Brutage ne comporte que quatre longs titres. Les trois premiers d’entre eux relèvent de ce que l’on connait déjà de Noxagt, l’apport spécifique de Hegre en plus. Trois titres ultra répétitifs où la rythmique est reine, où l’écrasement est loi et où l’enfermement cyclique, hautement radicalisé, lorgne vers une sorte de kraut-rock métallisé – voire carrément metal, comme sur le final du génial Someone Calls You Every Night But Says Nothing. You Can’t Sleep, assurément le meilleur titre de Brutage. Une musique à la fois déviante et extrémiste parce que jusqu’au-boutiste. Sur A Colleague Come To Your House And Punched You. Your Room Became Very Messy les strates de guitare tranchent par contre avec la lourdeur répétitive de la rythmique : l’effet est aussi foudroyant que malsain. Enfin, reste un quatrième titre, différent des trois autres parce que ambient et quasiment arythmique. Une fin en forme de respiration (queue de poisson ?) pour un disque qui se veut malgré tout oppressant. Moins alambiqué que précédemment, plus lent aussi peut-être, en tous les cas plus ramassé et toujours plus lourd, le Noxagt dans sa version 2014 reste une valeur sûre. En espérant pouvoir (re)voir le groupe en concert un de ces jours.

Hazam (12/05/2014)