ahleuchatistas
cuneiform


Ahleuchatistas
Heads Full Of Poison - 2xLPs
Cuneiform 2012

Nous ne lâchons pas l'affaire Ahleuchatistas. Et eux non plus ne lâchent pas l'affaire. Septième album en neuf ans. Un groupe suivi pas à pas à chaque sortie. Chacun de leur album patiemment écouté, analysé et ce dernier plus que les précédents. Un groupe qui mériterait une plus grande exposition et notoriété tant la qualité de leurs disques est impressionnante, ne faisant jamais dans la simplicité mais riche d'une multitude de détails et d'inventivité qui en font des albums uniques dont on ne se lasse jamais.
Avec Heads Full of Poison, il va falloir faire un effort supplémentaire. Depuis le sixième album Location Location, Ahleuchatistas a pris une tournure différente. Le trio est devenu duo. Leur musique donne ainsi moins dans le fracas et le math-rock hyperbolique pour prendre un chemin encore plus personnel et introspectif. N'aller pas penser pour autant que Ahleuchatistas verse dans l'accessibilité. La facilité n'est pas de leur monde. Surtout quand on place un morceau de seize minutes en troisième position et qu'une heure de musique bigarrée vous attend.
Shane Perlowin (guitare) et Ryan Oslance (batterie) embrassent un large panel de sonorités et autant d'ambiances. Avec au premier rang, l'ambiance dévoilant un coin du Soleil levant, des mélodies de guitare évoquant l'Asie. Déroutant de prime abord. Dès les premières secondes de Vanished, c'est ballade mouvementée sur le Tonkin et poursuite de cyclo-pousse. Ce qui n'empêche pas ce morceau d'être très beau, surtout sur la fin. Ambiance opium et grain de riz qui en remet une couche sur le péplum de seize minutes qui a donné son nom à l'album. Mais un morceau tellement fleuve qu'il serait dommage de le réduire à quelques triturations bridées de cordes électriques. D'ailleurs, je ne vais même pas essayer d'en parler sauf pour dire qu'il résume parfaitement le foisonnement et l'élaboration épique de neuf compositions exigeantes. Même quand le duo fait court. Même quand il termine sur un Starved March sépulcral ou le magnifique Requiem for the Sea, coulant tranquillement son spleen comme sur un morceau de One Lick Less.
Entre les polyrythmies d'un batteur précisant bien qu'il a tout enregistré live et sans overdubs et les boucles ou arpèges savamment distribués, parties de guitare éclairées d'un Perlowin qui est lui, forcément, passé par la case manipulation (mais pas tant que ça d'après ses dires), Ahleuchatistas tâte de l'Afro-beat, du free-jazz tendu, de l'ambiant nébuleux et du math-rock de travers. De grands moments de grâce, des pièges dans lesquels on aime se perdre, de la limpidité mais aussi une cérébralité accrue, des moments de flottement pendant lesquels on décroche. Ce qui fait l'album le moins évident de toute leur collection, le plus calme et le moins rock bien qu'une crête de nervosité soit largement visible. Ca reste tout de même passionnant, chaque écoute révélant son nouvel angle de surprises.
Ces deux là ne se contentent pas de fréquenter les autoroutes musicales, tentent des parcours inédits, défrichent, ne peuvent pas avoir bon à chaque embardée mais demeurent largement au-dessus du troupeau.

SKX (05/12/2012)