linnake
ok
irene
carton














OK
s/t CDEP
Irène
s/t CDEP
Linnake
s/t CDEP
Carton records 2011

Carton. Des disques en carton, une musique en béton. Devant un tel slogan digne d'un publiciste albanais en fin de carrière mais qui a le don de plaire à mon esprit de gamin attardé, on pourrait craindre le pire. Sauf si on le prend au huitième degré et devant un tel humour décalé, on peut espérer le meilleur. Une chose est sûre, il n'y a pas tromperie sur la marchandise. Les disques sont vraiment en carton. Recyclé, dans une pochette dans son plus simple appareil, avec une ouverture pour faire apparaître le rond central et un CD de couleur noire. De loin, on pourrait croire à un vinyle 5''. Au dos, le minimum d'infos réglementaires est tamponné. Une sobriété engageante. Pour la musique en béton, c'est une autre histoire que l'on va détailler.

La première de ces sorties simultanées de ce tout jeune label français indépendant, artisanal et minimal comme il aime également, et plus sérieusement, se présenter, se nomme OK. Un trio à la formation iconoclaste avec un chanteur guitariste et deux batteurs (et un peu de claviers). On s'attend à être secouer dans tous les sens et on se fait casser par un premier titre, Omelette Contest, que l'on va qualifier de pop. Une guitare electro-acoustique et une compo s'énervant peu à peu pour tirer vers les premiers REM, Violent Femmes ou un truc dans ce goût là. D'une efficacité déconcertante. Et OK va continuellement jongler avec les œufs sur cinq titres à l'approche pop, appelée ainsi, faute de mieux. En y mettant une touche electro (A New Morning, pas franchement ce que je préfère), en utilisant ses deux batteries pour construire des rythmes subtilement décalés, ne misant jamais sur le potentiel d'un tel système pour faire tout péter dans tous les sens mais disséquer des morceaux asymétriques. Chant nasal (REM encore), légèreté et insouciance, nervosité, moins simple qu'il n'y parait et d'où se dégage une certaine mélancolie, OK est, à l'instar de 31 Knots, un groupe qui cherche, qui tente de tourner autour des normes habituelles et sans y arriver complètement, apporte du vent frais qui mérite d'être suivi.

Carton records ayant eu la drôle d'idée de séparer ces réalisations en deux catégories, on quitte la collection Bâton pour la collection Croix-Croix. A savoir la collection "Rock, pop et les musiques que ma mère qualifierait de trop fortes, mais lui rappelant sa jeunesse" (Bâton) pour la collection "XP, noise et toutes les choses que ma mère n'écouterait pas du tout" (Croix-Croix). En un mot comme en mille, du grand n'importe quoi, toujours issu de l'esprit fatigué de notre publiciste albanais. Votre mère étant une femme de goût, elle écoutera sans peine tous ces groupes, indépendamment de la collection car même Irène, se trouvant dans la case Croix-Croix, n'effraierait pas votre vieille tante psychorigide. Qui elle, n'a jamais été mère, ya des limites à tout.
Irène est membre du collectif Coax, lauréat du Festival de Jazz de la Défense 2010 (1er prix de groupe et de composition), révélation jazzmag/jazzman. Ca vous pose son groupe. Ca vous donne surtout envie de partir à toute vitesse dans le sens opposé. Mais il est écrit que Carton ne fait rien comme tout le monde et Irène, malgré un emballage peu amène, a le jazz très déviant, teinté de rock, qu'un des deux saxophonistes manie des rebuts electronics, qu'ils sont aussi à l'aise dans les ambiances méditatives et profondes que les virulences électriques. Carton records, décidément très fort dans le slogan, qualifie Irène de musique débridée comme une mobylette. On retrouve à la batterie Sébastien Brun, le batteur de OK, un guitariste, Julien Desprez, qui n'est pas du genre à jouer de manière classique et taquiner le solo ou alors de façon abrupte. Des quatre compos, on préférera Bien Sûr pour le mélange parfait entre broyage rock et éclairs jazz bruitiste avec un saxo qui pousse la soufflante plus loin que la moyenne, donnant une coloration Alboth! à ce free-jazz. Finalement, je ne suis pas sûr que ta mère aime. Mais moi, Irène, tu me plais.

On garde le meilleur pour la fin. Dans Linnake, on retrouve encore une fois le batteur Sébastien Brun (qui est également l'homme Carton), le guitariste Julien Desprez et Jeanne Added, chanteuse dans de nombreuses formations jazz ou assimilées, et bassiste également avec ce nouveau groupe bien plus rock. C'est la collection Bâton et point de retour il y aura. Linnake certifie le travail des copains d'écurie. Celui d'une musique qui ne se laisse pas facilement mettre en boite, qui ne s'enferme pas dans un style trop évident. Les cinq titres, pour virulents qu'ils soient, passent d'un rock aride à la PJ Harvey à un post-punk alerte et mélodique, voir hystérique, et offre en guise de dessert, un magnifique morceau contemplatif, 17, avec ces roulements de tambours en fin de parcours rajoutant à la gravité d'ensemble. Linnake a également le talent pour écrire des morceaux accrocheurs, comme No Rest et Tell Me, portés par une voix intense, généreuse, au registre étendu.
Avec un groupe comme Linnake, Carton n'est pas loin de valider la deuxième partie de son slogan en bois.

SKX (12/06/2011)