L'Ocelle Mare
Engourdissement - CD
Souterrains-Refuges 2009

Il faut sans doute s'imaginer une vie différente, une vie en dehors des circuits, une vie qui vous fait voir la musique autrement. Thomas Bonvalet, de par son passé dans Cheval de Frise, traîne toujours dans le circuit rock. Mais pas besoin d'être une lumière pour s'apercevoir que son travail dans son projet solo s'adresse à tout autre public. Ne me demandez pas lequel. D'ailleurs existe-il vraiment un public pour L'Ocelle Mare ? Engourdissement est son troisième disque et s'éloigne de tous les canons musicaux. Musique de l'isolement comme si son autarcie physique rejaillissait sur sa façon d'entreprendre la musique. Une musique naturelle, au sens stricte du terme, faite pour son environnement naturel. L'humain n'a qu'à se débrouiller avec ça. On doit sûrement pouvoir recentrer L'Ocelle Mare sur la musique concrète et autres asociaux des codes musicaux mais n'étant pas familier de ce monde, on va juste essayer de se faire happer par l'atmosphère d'Engourdissement. Ou pas. La principale nouveauté de cet enregistrement, c'est l'abandon de sa fidèle guitare acoustique au profit d'une caisse à outil et d'instruments d'un autre âge. Ce n'est pas en lisant les notes d'une pochette d'une (toujours) rare sobriété que vous le saurez mais en visitant sa page myspace (qui est partout, même au fond des bois).
Banjo six cordes (dont le chevalet est parfois déplacé en bordure de cercle, créant une vibration évoquant la distorsion), harmonicas, lames d'harmonicas (percutées ou soufflées), orgue à bouche, diapasons, plectre de pavot sec, piano, microphone, frappements de pieds, métronome.
C'est pas avec ça que vous allez siffloter sous la douche un des neuf titres (comme d'habitude sans nom) d'Engourdissement. Le bruit là, c'est ta musique ou la machine à laver ? entends-je par-dessus mon épaule. C'est tout le dilemme. On ne va pas parler de mélodies, ni de structures. Faudrait être vicieux. Succession de bruits étranges, assemblage de sons crispants, d'accidents peut-être et d'expérimentations, se raccrocher aux cordes rassurantes du banjo, écouter le bruit sourd du bois, tisser une ambiance inquiétante, qui parfois vous capte l'espace d'une poignée de secondes, avant de repartir dans des silences presque parfaits et nombreux, des sifflements lugubres et des frémissements engourdis. Une musique rurale et pleine de non-dits. On dit pas ça uniquement parce que ce disque a été enregistré (toujours par Adrian Riffo) dans des endroits répondant aux noms bucoliques de Le Clos de Boeufs et Le Pigeonnier. Engourdissement, synonyme d'hibernation et d'hébétude. Le réveil est douloureux et c'est la première fois qu'un disque de Thomas Bonvalet ne me touche pas et me laisse totalement perplexe.

SKX (08/02/2010)