Enablers
Tundra - CD
Majic Wallet 2008

Ce groupe est un mystère. Comment un groupe faisant si peu de bruit - et là je parle du volume sonore, pas de la reconnaissance qui commence à venir - un groupe si banal dans son approche, une musique qui donne l'impression d'avoir été entendu des centaines de fois, bref, comment un groupe qui ne paye pas de mine arrive-t-il à nous captiver de la sorte ?! Ne comptez pas sur moi pour donner une explication. Mais avec ce troisième album, le charme opère toujours. Deux guitaristes qui tricotent dans leur coin, un batteur qui semble parfois dormir, la voix de Pete Simonelli qui parle de textes dont le Français moyen ne pige rien, on a connu des démissions pour moi que ça. Mais allez comprendre pourquoi, avec Enablers, ça marche. Notez bien qu'il faut de l'attention pour cette musique. Pas le genre à s'écouter distraitement en s'acquittant d'une seconde tâche car là, Enablers peut rapidement devenir insipide. Une musique de fond qui ne dérangera personne. Et c'est sans doute dans cet art de la sourdine que réside une partie de l'explication qui ne devait pas voir le jour. Je ne sais plus qui disait que pour se faire remarquer, soit il faut gueuler le plus fort, soit rester silencieux dans son coin. Enablers tente la seconde option. Il faut toute sa sensibilité pour capter les différentes intonations graves du conteur Simonelli, le travail d'orfèvres des deux guitaristes Goldring et Thomson, comment ils se complètent, se répondent et définitivement tendre l'oreille pour le jeu tout en touché du batteur Joe Byrnes. Forcément, dans ses conditions, quand ils élèvent le ton, ça s'entend tout de suite et ils maîtrisent également bien l'art du coup de gueule. Mais la magie du groupe de San Francisco, c'est de suggérer, de vous amener en douceur dans leur monde, de vous bercer dans leur aigre mélancolie et donner des coups de griffes calculés. A moins que Enablers nous donne eux-mêmes les clefs avec le titre du premier morceau, A Blues, ce bon vieux truc qui ne cesse de se décliner depuis près de cent ans. Et leur blues est cette fois-ci encore plus personnel. Enregistré pratiquement à la maison, par leurs propres moyens pour un label inconnu alors qu'ils étaient peinards sur Neurot records. Enablers se retire sur lui-même, vague d'introspection dont ils retirent encore plus de force. Des morceaux courts, sans fioritures, un son brut et chaleureux, à peine quelques chants pour seconder Simonelli sur The Destruction most of all. Tout le reste va droit au but. Sans véhémence mais c'est dit, avec précision et conviction. The Achievement connaît une sérieuse cure d'amaigrissement par rapport à la version 12'' et ce n'est que meilleur. Tundra vous emmène vous y perdre, tout en colère grondante. Februaries est nerveux et entre toutes ces pointes, c'est lévitation assurée. Enablers, c'est ce cheminement continuel entre béatitude et tension voilée. Non, vraiment rien de nouveau mais eux le font mieux que tout le monde. Et quoi de plus normal que de finir un album par une reprise de Nina Simone quand il a débuté par un blues. Four Women, l'histoire de quatre femmes dans le corps d'une même pécheresse, métaphore évidente et idéale pour quatre pauvres ères qui partagent les mêmes souffrances et possèdent toute la finesse requise pour les mettre en musique.

SKX (02/10/2008)